A (RE)LIRE "Poems on various subjects religious and moral", un recueil de poèmes de Phillis WHEATLEY London: A. Bell Books, 1773, (128p.).
|
This review in English |
En 1773, Phillis Wheatley fut la toute première écrivaine africaine à publier un recueil de poésie.[1] Cet ouvrage marque le début de la littérature afro-américaine et la vaste érudition de l'auteure en fait certainement la première intellectuelle africaine des temps modernes. Phillis Wheatley s'appelait-elle réellement Aminata, Maïmouna ou Fatou ? Personne ne le sait, mais ce qui est certain, c'est qu'elle fut arrachée à ses parents à l'âge de sept ans et envoyée aux Etats-Unis à bord du « Phillis », un des nombreux bâtiments négriers qui sillonnaient l'Atlantique à l'époque, chargés d'esclaves.
L'intelligence de la frêle Maïmouna-Phillis que les Wheatley venait d'acheter comme servante, frappa la maîtresse de maison qui décida contre les usages de lui enseigner à lire et à écrire. A l'âge de onze ans, Phillis composait ses premiers poèmes et deux ans plus tard, un de ses textes était publié dans le Newport Mercury, un journal local. La jeune esclave se lança alors dans l'étude des penseurs anglo-saxons de son époque et, en 1773, ses connaissances n'avaient rien à envier à celles des femmes érudites de son époque: elle avait à peine vingt ans et son premier volume de poésie était prêt à être publié.
Malheureusement, l'idée d'imprimer un ouvrage écrit par une esclave était vivement condamnée dans l'Amérique esclavagiste du 18ème siècle. Aussi, faute d'obtenir le support qui aurait permis la publication du recueil à Boston, les Wheatley durent se tourner vers l'Angleterre pour y trouver un protecteur et un éditeur. La Comtesse de Huntingdon et le libraire londonien A. Bell acceptèrent de parrainer la publication de l'ouvrage, à la condition qu'un petit nombre de dignitaires attestent de l'authenticité des poèmes qui leur étaient soumis. Ce document fut ajouté en exergue à la première édition du volume, signé par dix-huit personnalités de Boston.
Alors que la sortie de son ouvrage approchait, Phillis Wheatley fut invitée à se rendre en Angleterre, et elle y débarqua en juin 1773. Peu après son arrivée dans la capitale britannique, son poème "A Farewell to America" fut publié dans le journal local The London Chronicle et un long cortège de visites mondaines se succédèrent alors, lui fournissant l'occasion de rencontrer la crème de l'aristocratie britannique. Malheureusement, peu de temps après le début de son séjour, un message arriva de Boston lui apprenant que Madame Wheatley était gravement malade. Sa présence aux côtés de sa maîtresse était requise au plus tôt et une esclave, fut-elle dotée d'un prestige unique dans le domaine des Lettres, devait obéir à ses maîtres. Aussi, interrompant abruptement sa visite de la vieille Angleterre avant même d'avoir pu rendre visite à sa bienfaitrice, la Comtesse de Huntingdon , Phillis reprit le premier bateau en partance pour l'Amérique où elle arriva en septembre 1773.
Ce retour prématuré à Boston semble être dans l'ordre des choses, mais était-il aussi inéluctable qu'il y paraît au premier abord ? Certains critiques suggèrent que Phillis Wheatley aurait pu choisir de rester à Londres contre l'avis de ses maîtres si elle l'avait voulu. Un arrêt de Lord Mansfield, Président de la Cour supérieure de justice, stipulait en effet qu'une fois en Angleterre, une esclave ne pouvait être renvoyée aux colonies contre son gré par son maître. On sait que Phillis Whetley avait rencontré l'abolitionniste Granville Sharp et ce dernier n'avait certainement pas manqué d'évoquer avec elle la possibilité de rester à Londres. On peut donc se demander pourquoi elle décida de rentrer en Amérique. Les Wheatley lui promirent-ils son affranchissement si elle retournait au chevet de sa maîtresse malade ? La réponse est sujette à interprétations mais ce qui est certain, c'est que les documents lui rendant sa liberté furent établis dès son retour. Un mois après son arrivée, Ms Wheatley était une femme libre.
Malheureusement, le succès littéraire de Phillis Wheatley et son nouveau statut ne changèrent rien à l'attitude des Bostoniens envers les nombreux noirs libres ou non qui trimaient dans la ville. La jeune femme s'en rendit compte lorsqu'elle essaya, en vain, de publier son second volume de poésie. En dépit de la réputation internationale qu'elle s'était forgée et malgré d'innombrables démarches, aucun imprimeur n'accepta de mettre sous presse son nouvel ouvrage. Et pourtant les commentaires les plus flatteurs soulignaient la valeur de ses écrits. George Washington écrivait par exemple en 1776 : « ... je serais ravi de rencontrer une personne agréablement inspirée par les Muses et dotée de remarquables talents par la nature ».[2] Voltaire, quant à lui, écrivait dans une lettre au Baron Constant de Rebecq datée de 1774 : « Fontenelle avait tort de dire qu'il n'y aurait jamais de poëtes chez les Nègres : il y a actuellement une Négresse qui fait de très-bons vers anglais ».[3]
Certes, plusieurs détracteurs ne se privèrent pas de vilipender son œuvre. Thomas Jefferson déclara par exemple : « La religion a été en mesure de produire une Phillis Wheatley mais pas une poétesse »[4] et certains critiques anciens et modernes affirmèrent que les écrits de l'auteure étaient « lamentablement inappropriés à la pensée noire américaine ».[6] Mais au-delà de ces critiques, on peut surtout relever que l'idée qu'une femme et de surcroît, une esclave noire puisse donner libre cours à son talent et atteindre le sommet de l'art, était difficile à envisager par la majorité des habitants du nouveau monde jusqu'à une époque assez récente.
La mort de Madame Wheatley, en mars 1774, priva Phillis d'une alliée influente dans les milieux bostoniens. Les années qui suivirent furent dès lors très difficiles pour la jeune femme : un mariage malheureux, le refus de son nouveau manuscrit par les imprimeurs, les problèmes de santé, la mort de ses enfants et des conditions de vie misérables furent autant de facteurs qui contribuèrent à sa mort en 1784, âgée de trente ans à peine.
Il est difficile de nier que les Wheatley donnèrent à Phillis une éducation qui n'était offerte qu'à quelques jeunes filles américaines privilégiées et qu'ils favorisèrent le développement de ses aptitudes intellectuelles exceptionnelles. Toutefois, il convient de ne pas perdre de vue la tragédie qui conduisit cette petite fille africaine en Amérique dans des conditions atroces comme des millions d'autres. Phillis Wheatley rappelle dans l'un des rares poèmes autobiographiques qui nous soit parvenus:
Moi, si jeune, par un cruel destin,
Fut arrachée à mon heureuse Afrique:
Quelle intolérable douleur,
Quelle innommable tristesse pour mes parents meurtris ?
Une grande détresse emplit l'âme
De l'enfant chérie arrachée à son père.
Telle fut ma situation et je ne peux que prier
Qu'aucun ne souffrit plus pareille tyrannie ?[6]
La lecture des œuvres complètes de Phillis Wheatley, la véritable ancêtre de la littérature noire américaine, est chaleureusement recommandée. L'ouvrage Phillis Wheatley Complete writings présenté et annoté par Vincent Carretta, propose les œuvres publiées en 1773, celles retrouvées après la mort de l'auteure, sa correspondance, une excellente introduction et quelques extraits d'autres auteurs noirs-américains du 18ème siècle. A lire.
Jean-Marie Volet
Notes
1. Un fac-similé du recueil publié en 1773 est proposé dans "The Collected works of Phillis Wheatley" (ed. John Shields). Oxford: Oxford University Press, 1988.
2. "Phillis Wheatley and the origins of African American literature". Limited Commemorative Edition, Boston: Old South Meeting House, 1999, p.23.
3. "Œuvres", XLVIII, p.595.
4. "Phillis Wheatley complete writings". (ed. Vincent Carretta). New York: Penguin Books, 2001. "Introduction", p.xxxvi. Cette réédition ISBN 978-0-14-042430-0 comprend aussi des poèmes non publiés et la correspondance de l'auteure.
5. "Phillis Wheatley and the origins of African American literature", p.10.
6. "Phillis Wheatley complete writings". (ed. Vincent Carretta), p.40.
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/School of Humanities
Created: 22-Avril-2009.
https://aflit.arts.uwa.edu.au/reviewfr_wheatley09.html