DU DOSSIER 5. Trait de culture, fait religieux 7. Politique des états africains
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La clitoridectomie n'est pas un phénomène purement
africain
La pratique de l'excision se perd dans la nuit des temps. Selon Séverine Auffret, qui cite René Neli:
(Auffret Séverine. Des couteaux contre les femmes. Paris: Grasset, 1982, p.145)
En 1769, Carstens Niebuhr, l'explorateur allemand, constate sans s'en formaliser que sur les rives du Golfe persique, parmi les chrétiens d'Abyssinie et d'Egypte, parmi les Arabes et les Coptes cette coutume avait droit de cité. (Cité par Amna Elsadik Badri. "Circumcision in Sudan" in Giorgis Belkis. Excision en Afrique. Dakar: AAWORD/AFARD, 1981, p.130) A l'époque de la colonisation, la pratique de l'excision ne soulève aucune polémique en Europe. Les anthropologues, les administrateurs coloniaux et l'Eglise catholique sont au courant d'une telle coutume mais ils n'en n'ont pas fait cas (cf. Annie Villeneuve. "Etude sur une coutume somalienne: les femmes cousues" in Journal de la société des Africanistes. Paris, 1937). Pour eux, il s'agit tout au plus d'une curiosité africaine qu'ils associent aux mythes "puérils et pittoresque" (R.P. Daigre. "Les Bandas de l'Oubangui-Chari" in Anthropos T. XXVII, 1932, p.658) qui ont cours parmi les populations locales. Par exemple, dans son ouvrage sur les Bandas de l'Oubangui-Chari (aujourd'hui Centrafrique), le R.P. Daigre donne une description détaillée de la cérémonie en soulignant son importance sociale :
La clitoridectomie en Europe au 18e et 19e siècle: Isaac Baker Brown La clitoridectomie n'est pas un phénomène purement africain mais a fait partie intégrante de la médecine européenne. Bien que l'histoire ait retenu surtout le nom du docteur Isaac Baker Brown (1812-1873), nombreux furent les médecins qui soignèrent ainsi les cas d'hystérie, de migraines et d'épilepsie. Isaac Baker Brown, qui étudia au "Guy's Hospital" de Londres, devint un gynécologue de renom, spécialiste du traitement des kystes dans les ovaires. En 1854, il réussit pour la première fois à opérer une patiente - qui était sa propre soeur - en lui enlevant les ovaires et devint ainsi une célébrité dans le monde médical. La même année, il publia son livre On Surgical-Diseases of Women. En 1865, il fut nommé président de la "Medical Society of London" et membre de plusieurs sociétes savantes nationales et internationales. Au sommet de sa carrière, il publia l'ouvrage On the Curability of certain Forms of Insanity, Epilepsy, Catalepsy and Hysteria in Females (1865) où il recommandait la clitoridectomie comme intervention chirurgicale afin de soigner les maladies mentionnées dans son essai. Isaac Baker Brown décrit plusieurs cas qu'il aurait opérés. Une jeune fille de 21 ans souffrait depuis des mois de douleurs dans le dos et d'hémorragie en allant à selle. Les médecins qui la soignaient avaient diagnostiqué une malformation de la matrice et firent appel au Dr. Isaac Baker Brown. Ce dernier aurait constaté que ses organes génitaux internes étaient en bon état mais qu'elle présentait des lésions sur les organes génitaux externes. Il lui extirpa le clitoris et selon ses dires, la jeune fille n'eut plus jamais de douleurs dans le dos. Dans un cas d'épilepsie, Isaac Baker Brown diagnostiqua que la patiente présentait des signes de masturbation sur la partie externe des organes génitaux et avait un polype sur le col de l'utérus, il lui enleva le clitoris. Baker était convaincu que l'origine de toutes maladies nerveuses prenait sa source dans la masturbation. Afin d'enrayer cette pratique, il enlevait aux fillettes et aux femmes le clitoris et dans certains cas les petites lèvres. La sortie du livre de Baker provoqua un véritable tollé dans le milieu médical. On lui reprocha d'avoir opéré des femmes sans le consentement préalable du mari ou du père. Mais surtout on lui reprochait de se vanter d'avoir inventé la clitoridectomie comme méthode de traitement. Dans une lettre adressée à l'éditeur I. Baker-Brown (Baker-Brown I. "Letter to the Editor, May 19 th 1866" in British Medical Journal 1.2.6. 1866, p.593) réfute ce reproche et dévoile les sources où il a puisé la pratique de la clitoridectomie. Baker se réfère à deux auteurs de l'antiquité, à un manuel d'un médecin français du 18ème siècle et à une thèse de doctorat d'un étudiant en médecine allemand. Paulus d'Aegina et Aëtios d'Amida, deux auteurs de l'antiquité décrivent dans leurs ouvrages la clitoridectomie telle qu'elle est pratiquée en Egypte (Geburtshilfe und Gynäkologie bei Aëtios von Amida. Traduit en allemand par le docteur Max Wegscheider, 1901. Paulus's von Aegina des besten Arztes sieben Bücher. Traduit en allemand avec des remarques de I. Berendes. Leiden, 1914). Dionis, un médecin français du 18ème siècle, présente dans son manuel médical les instruments qu'il utilise dans les cas de clitoridectomie: un couteau et une pince. (P. Dionis. Cours d'opérations de chirurgie démonstrés au jardin Royal. Paris, 1708). En 1827, E. Nagrodzki, étudiant allemand en médecine défend sa thèse à Berlin sur le traitement des nymphomanes en s'appuyant sur la clitoridectomie comme traitement possible pour combattre les maladies mentales (E. Nagrodzki. De Nymphomania eiusque curatione. Medizinische Dissertation. Berlin, 1834). Une vive controverse s'ensuit et presque tous les numéros de Lancet et du Britisch medical Journal publient les prises de positions des partisans et adversaires de cette méthode entre 1866 et 1867. Finalement en 1867 Baker-Brown est obligé de démissionner de son poste de Président de la société médicale "British Medical Society". Il perd son poste de gynécologue à l hôpital et il se retire dans le monde de la recherche scientifique. Depuis lors, la clitoridectomie n'aurait plus été pratiquée en Grande-Bretagne officiellement. Cependant J. Arkwright écrit dans le British Medical Journal (Arkwright J. "Excision of the clitoris and the Nymphae" in British Medical Journal 28. 1. 1871, p.88) qu'en 1871 il aurait eu recours au service de Baker-Brown pour soigner une patiente. Les exemples mentionnés illustrent que l'excision a été une pratique fréquente en Europe jusqu'au 19e siècle et qu'elle n'était pas considérée comme un acte barbare. Géographie de l'excision La lutte contre l'excision a longtemps été un sujet tabou mais déjà bien avant l'Indépendance des pays d'Afrique en 1960, des médecins, des sages-femmes Africains ont mené à l'ombre de toute publicité tapageuse une lutte acharnée contre l'excision. Citons par exemple Henriette Kouyaté, gynécologue depuis 1955 et une des militantes de la première heure qui s'est engagée dans la lutte contre les pratiques traditionnelles néfastes à la santé de la mère:
(A. Walker. Pratibha Parmar Narben oder die Beschneidung der weiblichen Sexualität. Reinbek B. Hamburg: Rowohlt, 1993, p.313 - ma traduction) De nos jours on estime que la clitoridectomie est pratiquée dans 28 pays du monde et toucherait 75 millions de femmes. Chaque année 2 millions de filles subiraient une MGF. En Afrique de l'est: au Kenya (70%), en Afrique de l'Ouest: au Sénégal (20%), en Guinée (85%) en Sierra-Leone 90%, en Côte d'Ivoire, au Bénin, au Ghana, au Nigéria (80%) etc... (Rapport de l'UNICEF) mais elle existe aussi en Indonésie et en Malaisie. L' infibulation concerne surtout les pays de la corne de l'Afrique comme la Somalie (95%), L'Ethiopie (90%), l'Erythrée (95%), Djibouti (95%), le sud de l'Egypte (90%), le Soudan (98%) mais aussi le Mali. Parmi les pays arabes qui pratiquent l'excision notons: Le Yémen, les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn, Qatar, Oman, la Mauritanie. En Asie, les musulmans originaires de l'Indonésie, de la Malaisie , du Pakistan et de l'Inde pratiquent également la circoncision en se référant à la religion. Ces chiffres sont certes aléatoires mais au-delà de l'arithmétique, le problème reste entier. Si les mutilations diminuent en certains endroits, cette pratique est loin d'avoir disparu partout. Selon l'enquête dirigée par l'équipe d'Enda-Dakar, le nombre de femmes excisées au Sénégal devrait se situer aux environs de 18 à 20 % de la population totale (Marie-Hélène Mottin-Sylla. Excision au Sénégal. Préface de Joseph Ki-Zerbo. Série études et recherches. Enda-Dakar, no.137, novembre 1990, p.24) et non plus entre 50% et 75% comme le suggèrait le rapport de Fran Hosken en 1982. A de très rares exceptions près cette pratique ne touche pas les deux groupes ethniques les plus forts, à savoir les Wolofs et les Sérères. Pratiquement toutes les fortes minorités culturelles, comme les Capverdiens, les catholiques qui forment 10 % de la population sénégalaise, ne connaissent absolument pas l'excision. Par contre, une partie importante des Peuls, des Diolas, des Toucouleurs et des Mandés s'y adonnent (Marie-Hélène Mottin-Sylla. Excision au Sénégal. Série études et recherches. Enda-Dakar, no.137, novembre 1990). Les statistiques varient selon les régions, selon les groupes ethniques, les actions de sensibilisation, l'évolution des attitudes... Ainsi au Burkina-Faso depuis la campagne pour l'abolition des mutilations génitales, le taux serait tombé à 66%. En Egypte, selon Afrique-Femme-Info (juin 1998), il serait même passé de 90% à 30% depuis 1994. Dans certaines régions, l'excision aurait complètement disparu mais d'une manière générale, le problème est encore loin d'être résolu: au début de l'an 2000 un très grand nombre de femmes sont encore victimes des MGF. L'excision: définition Que signifie l'excision, mutilation sexuelle ou mutilation génitale féminine (MGF) selon la terminologie officielle retenue par l'UNICEF ? La nouvelle terminologie tend à remplacer l'expression mutilation génitale féminine par blessure génitale féminine. "L'excision, aussi appelée clitoridectomie consiste en l'ablation du clitoris, y compris souvent les petites lèvres et parfois toute la partie externe de l'organe génital féminin, à l'exception des grandes lèvres" (cf. Rapport Fran Hosken & Michel Erlich. La femme blessée: essai sur les mutilations sexuelles féminines. Paris: l'Harmattan, 1986, p.22) Les MGF signifient donc toutes procédures ou blessures qui modifient une partie ou la totalité des organes génitaux féminins pour des raisons culturelles ou autre raison non thérapeutique.
On distingue plusieurs formes de mutilations génitales: - la clitoridectomie ou ablation du clitoris est la forme la plus légère et aussi la plus répandue dans les pays sahéliens à l'exception du Mali. - l'excision ou l' ablation des petites lèvres est souvent suivie de la clitoridectomie. - l'infibulation pharaonique connue au Sénégal sous le nom de "taf", de "hara" en Egypte" et de "gudniin" en Somalie, consiste en l'ablation du clitoris, de la totalité des parties génitales externes: des petites lèvres et des deux tiers des grandes lèvres, puis couture et rétrécissement de l'orifice vaginal. Une très petite ouverture est laissée pour l'évacuation de l'urine et du sang menstruel. Elle est pratiquée au Soudan, en Somalie, en Ethiopie , à Djibouti et en Erythrée. C'est la forme la plus douloureuse. - l'incision et atrophie du clitoris et / ou des lèvres en piquant et en perçant ou en massant le clitoris du bébé afin de le rendre insensible. L'atrophie du clitoris se pratique par massage. Dès les premiers jours qui suivent la naissance afin d'éviter que le clitoris ne se développe, la masseuse entreprend durant plusieurs jours sur la fillette un massage qui tend à réduire plus tard l'ardeur sexuelle. Cette pratique qui tend à disparaître, sévit encore en Mauritanie, dans la partie est du Sénégal, et du Waloo. - la cautérisation par brûlure du clitoris et des tissus environnants. - l'étirement, élongation du clitoris et des tissus environnants. - le grattage, raclage (Angurya cut) ou coupure du vagin (ghisiri cut) du vagin et des tissus environnants. Ces opérations sont pratiquées par une femme du village, une matrone ou tradipraticienne. Au Sénégal et au Mali cette femme appartient à la caste de "forgerons". La matrone utilise pour l'opération des couteaux spéciaux, des lames de rasoir ou des tessons de verre.
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