Les Béninois et leurs écrivains Gisèle Hountondji
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Entre les Béninois et leurs écrivains, ce n'est pas le
grand amour. J'en veux pour preuve l'épreuve de dictée
proposée au C.E.PE cette année, en particulier, et dans une
moindre mesure, celle proposée au BEPC, toutes deux publiées dans
le Quotidien "La Nouvelle Tribune" cf No 139 du Mardi 2 Juillet 2002 et No 144 du
Mardi 9 Juillet 2002. « La poule et ses poussins » d'un certain
H.J. Fabre, inconnu au bataillon.
Serait-ce un Fabre Béninois? Peut-être ... Sait-on jamais... Nous
avons encore des Carlos, des Perrin, des Fourn, des Fournier, des Paoletti, des
Brun, des Poisson et des Grange dans le pays. Quelle honte!
Personnellement, je me suis sentie quelque peu indignée à la
lecture de cette dictée car, tout se passe comme s'il n'existait aucun
Béninois capable d'écrire pareil texte au Bénin; alors nos
autorités académiques ont dû recourir à ce Fabre,
Colonisation oblige! Et accessoirement à un Sembène (pour masquer
le scandale).
En effet, il y a de quoi ne pas se sentir fier ou être tout simplement
indigné quand, jour après jour, on s'efforce bon gré mal
gré à écrire afin que le Bénin soit le Bénin
et non plus une ancienne Colonie où les enfants font encore des
dictées signées Fabre.
Mais personne ne nous facilite la tâche, hélas. On a beau parler
de nourriture de l'esprit, de nourriture spirituelle ... On a beau
écrire, « la chose écrite » ne fait pas recette au
Bénin. Et tous les acteurs du système sont unanimes
là-dessus, des auteurs jusqu'aux libraires, en passant par les
éditeurs: la lecture n'est pas encore rentrée dans les moeurs.
Acheter un livre, ou même un journal, rien que pour le plaisir de lire
... ce geste tarde à entrer dans nos habitudes.
Le Béninois circulerait volontiers dans une grosse voiture
climatisée, il n'achètera un journal que si ce dernier contient
des nouvelles à caractère sensationnel ... s'il en achète
ou s'il lui arrive de s'abonner (parfois juste pour montrer au voisin que lui,
il a de la classe!), il ne paiera jamais son abonnement si on ne le lui
réclamait 36 fois. Les journaux de la place peuvent témoigner.
Etre écrivain au Bénin équivaut à exercer une
activité non rémunératrice de revenus, un métier
noble vous diront certains, mais j'aimerais bien les y voir ! L'écrivain
ainsi se nourrit de flatteries, de félicitations, d'honneur, et de
soutien verbal, bref, du vent. Comment expliquer cet état de choses?
A mon avis, la cause, une cause lointaine, remonte à la période
coloniale (toujours cette colonisation qui nous tient et ne nous lâche
pas) et à l'arrivée des missionnaires, où toute chose
écrite était distribuée gratuitement: bible traduite ou
non, annales, encyclopédies, livres scolaires, etc. On n'a pas
l'habitude d'acheter « la chose écrite ». Et cela s'est
attaché à notre peau et nous a suivi jusqu'à
l'avènement de la Télévision, qui elle, n'est pas
arrivée pour arranger les choses! Ainsi, après avoir couru toute
la journée à la recherche de son gagne-pain, le citadin ordinaire
ne peut plus s'en passer; la télé devenue sa seule source de
distraction, il n'a plus ou pas le temps de lire. Il s'abrutit volontiers
à avaler tout ce que lui propose le petit écran... et la
Bible.
Aussi faudra-t-il, à l'instar de la Bible, distribuer gratuitement tous
les livres des auteurs Béninois avant que nos compatriotes les lisent et
que nos autorités académiques en tirent des extraits pour les
dictées de nos écoliers?
Publié dans La Nouvelle Tribune (Cotonou) No 168, 16 août 2002, p.2. Inclus sur ce site avec l'autorisation de l'auteur. |
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Created: 19-Dec-2007.
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