Les délices de l'ombre Gisèle Hountondji
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Les hommes nous ont tellement habituées à vivre dans leur
ombre que la tâche devient aujourd'hui difficile de sortir de l'ombre. Le
fait de devoir s'appeler Mme X et de porter le tchador en est un illustration
éloquente; madame X, à mon avis, cela veut dire l'appendice de X.
Pourquoi ne pas être soi-même et devoir être forcément
l'appendice de quelqu'un ? Mais c'est si sécurisant, si rassurant, si
agréable d'être l'ombre et dans l'ombre du grand baobab protecteur
que représente 1e mari ... En effet, quel homme censé, ayant sa
tête sur les épaules et le pieds bien sur terre, aimerait voir sa
chère et tendre épouse exposée à de insultes, aux
violences politiques, etc. Elles sont si fragiles, si vulnérables, ces
petites poupées délicates ... Ne vous étonnez alors pas
que le béninoises ne sortent pas massivement intégrer les partis
politiques et se faire élire dans les municipalités, à
l'appel du Gpifed et de l'U.S.A.I.D Nous sommes si conditionnées que,
déjà prendre la parole en public est un exploit et à plus
forte raison faire un discours. Peut-être les femmes auraient-elles voulu
prendre la parole sans se faire voir, sans être vues. Chez nombre d'entre
elles, le manteau de la timidité est tout simplement impossible. A
l'heure où certaines appellent encore leur mari « fofo » ,
et où des députés polygames interdisent à leurs
épouses de sortir ... L'ombre est toujours là qui plane ... pour
garder et maintenir 1a femme dans l'ombre.
Lettrées ou non, jaunes, blanches, ou noires, notre lot semble le
même. Le 31 Avril dernier, au Centre WANAD, l'Association pour le
Développement de l'Education en Afrique attribuait un prix à Mme
Rose AKAKPO pour son article: « Revalorisation de la Fonction Enseignante
au Bénin ». C'est à peine si elle était «
visible ». Pour peu, on eût dit qu'elle se cachait, ou qu'elle
avait honte d'obtenir un prix. Pas de sourire, pas d'enthousiasme, pas de
déclaration. Afin de la tirer un peu de sa torpeur, je décidai
d'aller la présenter à la dame asiatique dont ce prix portait
le nom : « Prix Thanh-Hoa ». C'est alors que cette dernière
me répondit presqu'aussi discrètement: « Oh, oh, c'est trop
d'honneur ! Allez voir le Président ! Moi, je n'aime pas qu'on me
présente: je préfère le travail de l'ombre, je me sens
plus à l'aise ainsi, etc. ». Que penser de cette femme qui, en
vérité, abat un travail de fourmi au sein de l'A.D.E.A ? Donner
son nom à ce prix n'est que justice car elle le mérite mieux que
quiconque. Seulement voila, elle aussi préfère l'ombre, tout
comme la lauréate, hélas.
Un jour de janvier, à la télé, le Président SOGLO
recevait, comme à la fin de chaque année, les paysannes et
paysans les plus méritants du pays. Au cours de la
cérémonie, ils devaient se lever à tour de rôle et
aller recevoir des mains du Chef de l'Etat, étrennes et
félicitations. Alors que tous les hommes se levaient gaillardement et
allaient serrer la main du Chef de l'Etat, puis prendre leur cadeau, les
femmes, elles, se levaient timidement ; j'en avais vu une qui à peine
osait le regarder droit dans les yeux pendant qu'il lui serrait la main et lui
tendait le paquet. Une autre faisait un génuflexion en signe de
soumission et une autre regardait carrément ailleurs tout en se
prosternant. Je n'ai pas vu un seul homme se prosterner ni regarder ailleurs.
Cette attitude des femmes en dit long sur les relations hommes-femmes au sein
de nos sociétés et sur les mentalités SOGLO en effet est
non seulement homme mais aussi Chef ! Comment une paysanne pourrait-elle le
regarder droit dans les yeux, ne fut-ce sur sa propre demande ?
Dans ces conditions, comment sortir massivement, prendre d'assaut les
municipalités, présenter un compte-rendu devant un Conseil
d'Administration, ou répondre à des attaques en public ?
Et puis c'est si confortable de vivre à l'ombre et dans l'ombre,
synonyme de protection ; au cours du mariage, l'homme est censé assurer
protection à sa femme, et celle-ci fidélité en
échange. La protéger contre les tentations malsaines, surtout, et
la soustraire au regard indiscret des jaloux et des envieux, d'où
l'invention du tchador afghan. Etre femme publique devient alors une
véritable paire de manches. Les femmes n'aiment pas participer à
des réunions syndicales, des formations à l'extérieur,
à Bruxelles, etc. Comment alors s'armer pour l'avenir ? Et comme dit le
sieur Vincent FOLY dans son éditorial du Quotidien "La Nouvelle Tribune"
du Jeudi 20 Juin 2002, si l'égalité entre l'homme et la femme est
mathématiquement impossible, pourquoi alors aller s'exposer aux coups,
aux diatribes, aux querelles inutiles pour qu'en définitive, les hommes
tirent les marrons du feu ? Militer dans un parti politique où les
réunions se terminent à deux heures du matin. Monsieur attendra
gentiment au lit. Les enfants aussi. Militer sans aucune chance de devenir un
jour députée ou maire et se cantonner au rôle de
distributrice de sandwichs ou d'hôtesse d'accueil en costume-tailleur.
D'ailleurs « femme en vue » n'est jamais bien vue dans nos
sociétés aux coutumes rétrogrades, et Mme Marie-Elise
GBEDO fait bien de souligner l'aspect rétrograde de la chose.
Rétrograde ! N'est-ce pas ce qui nous vaut la situation catastrophique
que nous vivons aujourd'hui ? La RB, chreview parti gagnant en 1996 et en 2001
n'a jamais pu arriver à destination et pour cause, on reproche à Mme
Rosine SOGLO de ne pas savoir vivre dans l'ombre de son mari ... On serait
même allé lui demander de se prosterner devant Papa
Nicéphore à Abomey ! Heureusement elle l'a compris et s'est
beaucoup amusée en le faisant. Nous autres, observatrices attentives,
nous savions bien que c'était de la comédie, car non seulement
dame Rosine ne vit pas dans l'ombre de son mari, mais parfois elle prend
carrément les devants : elle attrape le gouvernail, ce qui n'est pas
pour plaire à « nos machos de la société
rétrograde ». On dit d'elle qu'elle est dictatoriale et que son
attitude ruine la santé du Parti ! Allez y comprendre quelque chose.
Eberlués, ceux qui se demandaient : « Depuis quand a-t-on vu femme
amazone diriger des machos en pays fon ? », n'en revenaient pas. Les
coutumes ont la vie dure et l'habitude est une seconde nature. Aussi ne dites
pas : les femmes sont décevantes ; on a beau les inviter à
occuper des postes de haut rang, elles déclinent l'offre et s'excusent
en disant qu'elles ne sont pas prêtes...
Après des siècles et des siècles de domination masculine,
comment voulez-vous qu'elles soient déjà si prêtes ? Il
faudra un apprentissage long, pénible et parfois fastidieux. En
attendant, l'ombre est là, qui continue de parler sur leur avenir et sur
leur devenir.
Publié dans La Nouvelle Tribune (Cotonou) No 177, 29 aouût 2002, p.2. Inclus sur ce site avec l'autorisation de l'auteur. |
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Created: 19-Dec-2007
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