Je suis d'elle Une nouvelle d'Edna Marysca Merey Apinda 2005 |
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« Je n'ai jamais voulu de toi », m'avait-elle lancé dans un grand moment de colère.
Je passai la nuit ce jour là à maudire sa méchanceté. Avait-on vraiment le même sang dans nos veines ? Je me posai la question, n'obtenant pour réponse que l'écho de mon cœur qui battait la chamade. Le mépris envenimait sa bouche chaque fois qu'elle s'adressait à moi. Je me demandais comment une mère pouvait ainsi traiter la chair de sa chair. Notre histoire commune avait sûrement mal commencé. J'étais trop jeune pour m'arrêter et me poser les bonnes questions.
La haine qui habitait son cœur me désarmait chaque fois qu'elle ouvrait la bouche. A huit ans, j'avais appris à me faire toute petite. Dans l'insouciance de mes douze ans, j'osais lui crier qu'elle m'énervait. A 14 ans, alors que je mettais mes premières boucles d'oreilles à la mode offertes par ma cousine Linda, elle me voua à la perdition. « On la retrouvera bientôt sur le trottoir » criait-elle aux voisines. « Ça commence toujours comme cela. Regardez donc ! »
Le regard que posait sur moi Mama Line, me suppliait de la boucler. C'était la grand-mère du quartier. Elle me considérait comme sa petite-fille. Je n'étais pas plus haute qu'un bâton de manioc la première fois que je traversai la rue pour aller me réfugier dans ses bras. Elle était là pour calmer les colères de maman. « L'on ne dit pas ce genre de chose à son enfant », criait-elle à ma mère. Cette dernière se contentait de refermer sa porte, m'obligeant à passer midi sous un arbre. Dans l'impertinence de mes 16 ans, j'osai lui dire que les chiens ne font pas de chats. Que le gène de la luxure qu'elle m'attribuait me venait d'elle. Une cuillère en bois m'atterrit sur la joue droite. J'en garde une trace aujourd'hui encore.
L'amour m'arracha à cette atmosphère invivable. Je rencontrai Arthur, un samedi du mois de mars. Il était étudiant en gestion. De passage en ville pour des raisons qu'il ne m'expliqua pas. Il m'aida pour les formalités administratives après le baccalauréat. J'obtins une bourse et le rejoignis au Maroc. Nous y passâmes deux ans. Près quoi, il m'entraîna dans ses bagages. Destination Toulouse. Là, il m'abandonna dans les amphithéâtres de la fac de Lettres du Mirail, pour se marier à Péguy. Elle n'était autre que la propriétaire de l'appartement que nous occupions tous deux. Elle allait lui éviter les étés caniculaires passés ensemble aux vendanges pour se faire des sous. Seule. Je me retrouvai avec moi-même. Il n'était pas seulement parti, mais m'avait jeté en pleine figure, que ça ne tournait vraiment pas rond dans ma tête. Les hommes !
Seule. Enceinte. Il me fallut repenser ma vie. Ce fut pour moi une période de crise. Père. Il m'écrivait une fois l'an. Pour m'encourager à réussir mes examens. Mère. Je ne recevais que son silence au téléphone chaque fois que j'appelais pour le nouvel an. Une barrière s'était imposée entre nous dès ma naissance. La distance n'avait fait que l'opacifier. De crises de larmes en crises de larmes, j'allais chez l'obstétricien, chez le kiné et faire les magasins avec mon amie Prudence. Elle me soutenait. Plus jeune que moi, elle semblait plus vieille mentalement. Elle était arrivée trop tôt et la France avait forgé son caractère. Ce fut elle qui remplit les formulaires administratifs pour moi. Les crises de larmes devenaient un refrain à une chanson que je chantais tous les jours pour me remonter le moral.
Mère. Je ne saurais dire pourquoi je pensais autant à elle à cette période ! Je l'avais appelé pour lui annoncer la nouvelle. Au bout du fil, une opératrice m'avait dit que le numéro n'était plus en service. La crise de larmes se transforma en crise de folie. Je déchirai tout dans l'appartement. Balançai ça et là des produits de beauté, des livres. Rien n'y fit. J'avais besoin d'entendre sa voix.
Je tentai de la joindre au bureau. Elle était en permission pour dix jours. Je demandai alors ma tante Ligie, sa meilleure amie et collègue. Elle se dit heureuse pour moi et déjà voulut savoir le sexe de mon futur bébé. Je raccrochai. Triste.
La naissance de mon petit Robin, n'arrangea pas les choses. Il avait eu la bonne idée de naître avec la même particularité que ma mère. Ils n'avaient pas d'ongle au troisième orteil de leur pied gauche. Mère. J'écrivis une longue lettre deux jours après la naissance de mon fils. Les photos prises par Prudence complétèrent le petit paquet que je lui envoyai une semaine plus tard. Une réponse timide me parvint un mois après. « Félicitations. Il est très beau. » Rien d'autre.
L'avion me ramenait vers mes souvenirs les plus cruels. Je pensais les avoir oubliés mais ils resurgirent aussitôt que je posai les pieds sur l'asphalte de l'aéroport de Port-Gentil. L'oncle Justin et la tante Madeleine étaient là pour accueillir mon Robin. Du haut de ses 2 ans, il sourit. Mère m'attendait à la maison, me dit-on. La panique me prit. Que lui dirais-je ? Chose bête, l'air marin qui me caressait le visage me rendait petite fille. Et je me disais que le semblant de liberté acquise là-bas, n'était que très peu de chose ici. Déjà, l'on m'écoutait à peine. Tout avait été décidé pour moi. Je n'avais qu'à suivre le mouvement.
Mère m'accueillit avec froideur. Je pensais que les années de séparation aurait éclairé son visage. Elle embrassa à peine son petit-fils avant d'aller se caler dans un fauteuil.
Alors que la pluie tente avec ardeur de laver notre profonde tristesse, je me retrouve face à ce manguier auquel j'ai confié toutes mes peines d'enfant. C'est une lettre de Mama Line qui va enfin me livrer la clé de l'énigme de cette moitié de vie qu'est la mienne. Elle l'a laissée pour moi avant de mourir. J'ouvre l'enveloppe et me retrouve face à la vie de ma mère.
Elle a autrefois été éperdument amoureuse de mon père. Ils avaient des projets, l'avenir pour eux. Ils se rencontraient à la capitale durant leurs études. Elle se voyait assistante sociale. Lui, futur médecin, lui promettait la bague au doigt. C'était sans compter le manque de délicatesse et l'intransigeance de la famille paternelle. Une fille de rien dans leur famille ! Jamais ! Père avait un nom et une position dans l'échelle sociale qui ne pouvaient souffrir une alliance avec une personne quelconque. Lâche, obéissant au diktat de sa mère, il laissa tomber ma mère, un jour de pluie, enceinte de deux mois. Sa famille voulait bien de moi, mais pas d'elle. C'est qu'en plus de son panier vide, elle avait le tort de venir d'une ethnie que la rumeur à l'époque disait anthropophage.
Que père ait toujours été loin ne m'a pas attristée. J'étais trop occupée à me faire accepter de ma mère. Mon tort dans tout cela a été de naître avec le visage de cette famille que désormais ma mère abhorrait. Pour cela elle m'a détestée dès les premières heures de ma naissance. Hélas, plus les années passaient, plus je lui rappelais la gifle de sa vie. S'ils s'étaient contentés de l'ignorer ! Non. Ce furent les mots employés pour déverser leur mépris qui à jamais l'avaient marquée.
Qu'elle ait autant souffert de la perte d'un amour aussi cher, la rend plus humaine à mes yeux. Repliant la lettre je la fourre dans ma poche et reviens dans le salon. Les voisines sont assises. Elles se remémorent les bons moments passés à écouter la sagesse de Mama Line. Mère dans son coin, s'exile loin de moi. Elle fuit ce regard qui la poursuit. C'est bête ! Il est pourtant chargé de tendresse. Je m'approche d'elle. Cela n'a pour résultat que de la repousser. Plus loin. Encore plus loin de moi. Je vois alors se lever entre nous un mur. De dépit, je me promets qu'un jour, à force de patience et d'amour, je briserai ce mur de marbre. D'une simple caresse.
© Edna Marysca Merey Apinda, 2005.
La mort de Mama Line me contraint aujourd'hui à rentrer chez moi. C'est une frayeur absurde qui me tient en tenaille. Peur. De quoi ? Je rentrais chez moi ou pas ? Comme mon amie Prudence avait pour habitude de dire « chez soi, c'est là où l'on plante son foyer », j'étais à penser que je n'étais plus de cette terre qui m'avait vu naître. J'étais partie depuis douze ans. Le retour. Je l'appréhendais. Mais j'avais tellement aimé Mama Line que sa mort me bouleversait comme si elle m'avait mise au monde. Mama Line. Elle répondait à mes lettres. Sous sa dictée, un petit-fils écrivait les mots qui me donnaient du courage. Mama Line. Je lui envoyais quand je le pouvais, ces chaussures orthopédiques qu'elle trouvait pratiques. Elle partie, un morceau de moi passait de la lumière à l'ombre.
Deux jours que Mama Line est retournée à la poussière. Mère m'évite magnifiquement. M'a-t-elle seulement regardée en face une seule fois ? « Nous avons appris que tu te lances dans la chanson, là-bas ! Nous t'avons vu à la télé » « Bonne chance. » « Tu as vraiment du talent. » Les encouragements affluent. Je chante, oui. C'est un rêve d'enfant qui se concrétise. C'est une idée de Prudence. Toujours pour sortir de moi l'insoupçonné. Et mère qui me fuit. Allez savoir ce qui lui prend désormais. L'oncle Charles lui trouve des excuses : « elle ne sait pas comment te prendre. » Ben voyons ! De future catin me voilà devenue extraterrestre. Je suis d'elle pourtant.
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Created: 08 January 2005
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