Longue nuit dans la forêt des abeilles Un conte d'Edna Marysca Merey Apinda 2006 |
Parfois la nuit quand la lune est triste parce que les étoiles
paresseusement refusent de briller, elle s'approche tout doucement. D'une voix
claire, elle demande au hibou perché sur une branche de lui raconter une
histoire. Alors, le hibou se met à jouer au conteur pour le plaisir de
son amie la lune. Un peu comme ce soir. Ecoutez-le :
C'était il n'y a pas si longtemps. La forêt des abeilles
était en émoi. Cali le grand singe avait convoqué une
réunion importante.
Dans un coin, Larsen le petit ouistiti chuchota : « On dirait bien
que la tête de notre cher Cali a déjà perdu un boulon.
»
« Amis, chers amis singes. Ma décision a été
mûrement réfléchie. Je réitère mon intention
de céder mon fauteuil à Lucci la limace. Je vais demain,
aussitôt que le soleil sera levé, l'en tenir informé.
»
Dans le nombre, il y en avait un qui ne dormait pas : Woulia, le
chimpanzé le plus intelligent de la colonie. A lui, on ne ferait pas le
coup de la limace qui aurait beaucoup de poigne pour diriger une colonie de
singes. Alors, il fallait l'excuser si cette nuit il n'avait pas sommeil.
L'heure était trop importante pour fermer l'œil. « Je vais
faire un tour au bord de la marre à la recherche de cette fameuse
limace. J'aimerais qu'il me prouve sa grande intelligence. Je ne dormirai pas
tant qu'il ne m'aura pas ébloui. »
Il tomba bientôt sur Scar l'escargot, ami de longue date de Lucci la
limace.
Le singe resta coi face à tant de verve. Pourtant, il refusa de
s'avouer vaincu. Il souffla de nouveau sur la limace qui toussa.
Cette nuit allait être la plus longue de la courte vie de Woulia le
chimpanzé. Dans son sommeil, il entendait Lucci la limace ricaner. Il
l'imagina en train de se moquer de ses singes assez bêtes pour se laisser
gouverner par une limace. Le rire de Lucci était tellement
perçant, que notre pauvre Woulia cria de toutes ses forces : «
Non, ce n'est pas possible ! »
- Alors ! demanda la lune impatiente de connaître la fin de cette
histoire.
© Edna Marysca Merey Apinda, 2006.
Il parla ainsi :
« Singes, amis singes. Les lunes passent et défilent. Je me
fais vieux. J'ai donc décidé de renoncer à mon
trône. »
« Oh ! » crièrent les autres singes. Le temps est-il
passé si vite ! »
« Oui mes amis. Cela fait des lustres que je vous dirige et je pense
qu'il est temps pour moi de prendre ma retraite avant que ma tête ne me
joue des tours. »
« Oh ! » crièrent les autres singes. « Es-tu
sûr que ta décision est la bonne ? Nous t'admirons toujours
autant, grand singe ; et nous savons que jamais tu ne nous mèneras dans
un fossé. »
« Singes, chers amis singes, il faut savoir se retirer avec
dignité. Ne m'en voulez pas. »
« Oh ! grand Cali, nous comprenons et approuvons ta démission.
»
« Bien, je vous ai convoqués pour vous annoncer que j'ai
quelqu'un à proposer à ma succession. »
« Ah ! Qui est-ce, grand Cali ? Le connaissons-nous ? »
« Il s'agit de quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'admiration. »
« Ah, grand singe! Dis-nous tout. »
« Il s'agit de Lucci la limace. »
« Non ! »
Les autres singes s'écrièrent : « Comment est-ce possible
! Lucci ? Mais c'est une limace ! »
« Et un grand ami à moi », renchérit Cali, «
Lucci est un être intelligent ayant beaucoup de discernement. »
« Grand singe, sauf notre respect, il vaudrait mieux que tu ailles te
coucher. »
« S'adressant à l'assemblée des singes, Issopé
l'orang-outan annonça : « Je crois que nous avons tous besoin
d'une bonne nuit de sommeil. Je pense que comme nous tous, Cali notre chef
estimé, a été très affecté par la mort de la
tendre et douce Luna. Paix à son âme, cher Cali ! Elle nous manque
terriblement. »
Le grand singe laissa échapper une larme. Luna était sa fille
unique, la prunelle de ses yeux, son soleil, le sucre dans sa banane. Il
l'aimait plus que tout au monde. Malheureusement, un soir, le vent dans sa
course furieuse avait fouetté le visage de la jolie Luna. Elle
s'était affalée sur le sol et avait fermé les yeux
à jamais. Vingt-et-une lunes après le départ de son
âme, la forêt des abeilles la pleurait encore.
« Singes, amis singes, » intervint Issopé, « nous
avons la nuit pour apaiser nos esprits. Demain nous serons à même
de comprendre les motivations de notre grand Cali. Je propose que nous allions
tous nous coucher. Demain matin, nous nous retrouverons à ce même
endroit, dans la sérénité. Bonne nuit à tous.
»
La colonie des singes se dispersa dans le silence. Cali le grand singe alla
rejoindre son refuge. Les étoiles chantèrent tout doucement pour
bercer le sommeil des singes.
Sur ce, se balançant de branche en branche, Woulia arriva à la
lisière de la forêt. A cet endroit, l'orage avait laissé
une preuve de son passage : une marre de boue.
« Je cherche le beau Lucci ; je cherche le grand Lucci. J'ai entendu
parler de lui par Cali le grand singe. Je suis là pour le rencontrer et
le féliciter pour sa bravoure. Savez-vous où je pourrai trouver
Lucci ? »
Woulia s'arrêta un moment pour reprendre son souffle. Il lui fallait
bien flatter cette bestiole pour qu'elle daigne paraître devant lui.
« Ohé ! Savez-vous où je peux trouver le grand Lucci ?
» insista Woulia.
« Tais-toi et approche. », murmura une voix provenant d'une herbe
parfumée à la rosée du soir. Woulia s'inclina pour
écouter Lili la luciole. Cette dernière lui apprit que Lucci la
limace se cachait.
« L'écho de votre réunion a couru nous prévenir que
demain, la vie de Lucci sera en danger. », fit la luciole.
Se redressant, Woulia serra ses poings. Il s'étonna : « Comment
ça en danger ! » Alors Lili la luciole continua : «
L'écho nous a informés que votre grand Cali a fait de Lucci son
successeur. Dis-moi quel singe (vous animaux d'une grande finesse d'esprit) se
laisserait gouverner par une limace ? Dis-le-moi. Lucci sait que certains
d'entre vous auront envie de lui faire la peau. Raison pour laquelle notre
limace (ami de tous ici) a décidé de se cacher. Je ne peux t'en
dire plus. Au revoir cher singe. Tu m'es très sympathique.
« Bonne nuit à toi chère luciole. Je te trouve très
jolie. » Sur ce, Woulia continua son chemin.
« Bonsoir à toi, singe. Que fais-tu dans les parages ? N'y a-t-il
plus de bananes dans ton repère ? », fit Scar en riant jaune.
« Trêve de plaisanterie, ami Scar. », fit Woulia. « Je
suis en mission spéciale. »
Scar lui lança un regard méfiant. « Excuse-moi, mais je ne
te serai d'aucune utilité. Je ne connais ni de près ni de loin
Lucci la limace. Au revoir. » Et Scar disparut dans sa coquille.
Woulia s'approcha et le secoua : « Ne te cache pas. Tout le monde sait
que les limaces et les escargots sont cousins. Sort de là, poltron.
»
« Tu viens de le dire en effet. Lucci est mon ami. Je sais que vous,
grands mammifères en ces lieux, avez l'intention de lui faire la peau.
Même sous la torture, je ne te dirai pas qu'il se cache sous cette pierre
blanche. », lança Scar.
Woulia sourit et laissa Scar trembler dans sa coquille. Il s'approcha de
la fameuse pierre blanche. Là il se rendit compte que Lucci
s'était planqué sous une feuille morte. Woulia souffla sur la
feuille qui s'envola.
« Alors Lucci ! Dis-moi tout. Qu'as-tu de si exceptionnel pour que notre
grand Cali, si brillant d'habitude, ait l'idée sotte de te faire
successeur de son trône ? »
Lucci la limace se défendit : « Je n'ai rien demandé. J'ai
sommeil. Laisse-moi tranquille. »
Il voulut s'endormir mais Woulia l'en empêcha en soufflant sur ses
antennes. « Je suis désolé d'être
désagréable », fit le singe « mais je me suis promis
de connaître ton secret avant l'arrivée du jour. »
« De quel secret parles-tu ? »
« Il faut bien que tu en aies un pour que Cali perde la tête et
fasse de toi quelqu'un d'assez digne pour gouverner une colonie de singes.
Allez Lucci, parle. Je t'écoute. »
« Singe, mon cher ami singe. Votre grand Cali est venu me voir. Nous
sommes amis de longue date. Il m'a fait cette proposition. Je n'ai pas eu le
courage de la repousser. Demain je serai chef de votre colonie. Il faut te
faire à cette idée. Bonne nuit. »
« Puis-je dormir ? », cria Lucci.
« Non. » répondit Woulia. « Donne-moi la raison pour
laquelle notre grand Cali a autant confiance en toi. »
Lucci s'énerva franchement.
« Tu ne m'impressionnes pas du tout », lui fit Woulia. « Tu
parles ou je t'écrase. »
« Non, tu n'y penses pas ! », tenta Lucci. « Un grand et
beau singe comme toi, se salir les pattes avec les viscères d'une limace
! »
Woulia constata que Lucci était plutôt malin. Il avait bien
raison. Il n'avait pas envie se salir les pattes. Il resta silencieux un
moment, puis dit : « Jamais tu ne gouverneras la colonie des singes, et
tu le sais. Quel singe aurait envie de se faire dicter sa conduite par un
animal aussi visqueux, lent et repoussant qu'une limace ? »
Pas le moins du monde blessé par ce qu'il venait d'entendre, Lucci la
limace dit à Woulia le singe : « Cher singe, tu m'ennuie. Bonne
nuit. »
« Limace, chère limace, dis-moi tout. As-tu jeté un sort
à Cali ? »
« Et puis quoi encore ? Je n'ai pas que ça à faire. Sache
que jamais je n'utilise ce genre de procédé. »
« Alors, dis-moi tout. », insista le singe.
La limace toussa avant de commencer :
« j'ai fait autrefois un pari avec votre grand Cali. Il a perdu. Et, en
grand singe qui se respecte, il me cède son fauteuil comme convenu, car
il sait que je suis plus intelligent qu'on ne le pense. »
Woulia n'en revenait pas. Comment un singe comme Cali avait il pu parier une
chose aussi importante que son fauteuil.
« Et quel était ce pari ? Vas-y, dis-le moi, Lucci. »
« Le grand Cali s'est moqué de moi un jour il y a de cela
longtemps. Je lui avais dit que je me bâtirais une maison. Il a
répondu que je suis tellement lent que jamais je n'aurais de toit.
»
« Et alors ? », s'impatienta Woulia.
« Alors, je lui ai dit que qui va lentement va sûrement. Et j'ai
construit cette maison. Le grand Cali a été impressionné
par ma persévérance, ma patience, ma force de caractère.
Il pense que ce sont des qualités qui parfois font défaut
à la colonie des singes. »
« Tu dis n'importe quoi. Jamais le grand Cali ne se serait montré
aussi sot. Il a un grand respect pour toutes les espèces animales.
» fit Woulia.
« Il s'est moqué, pourtant. C'était il y a longtemps.
Réjouis-toi, car demain, je serai roi en ton pays. Bonne nuit. »
Le hibou sourit et dit : « Woulia a rêvé cette histoire.
C'était un cauchemar. Jamais la limace n'est devenue chef de la colonie
des singes. Mais cela a été une bonne leçon de vie pour
notre chimpanzé. Depuis cette nuit, Woulia a appris à respecter
les animaux les plus petits et à ne pas utiliser sa force arbitrairement
simplement parce qu'il est plus grand. »
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Created: 14 February 2006.
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