La vie d'une autre Une nouvelle d'Edna Marysca Merey Apinda 2007 |
« Je remercie le ciel de m'avoir donné une épouse
formidable. Je t'aime chérie. »
Un sourire ironique passa sur les lèvres d'Osange. Elle s'abstint de
tout commentaire, se contentant de savourer le bonheur d'avoir les bras de son
époux autour d'elle. Le calme régnait dans la maison ; un calme
apaisant après une semaine difficile. L'horloge du salon annonça
les deux heures du matin. Elle se retourna et posa un baiser sur la joue de son
mari avant de lui souffler : « Il est tard. Allons nous coucher. ».
Ils se levèrent du canapé où ils avaient passé
près de deux heures à discuter. Ils jetèrent tous deux un
coup d'œil dans la chambre d'enfant où dormait le petit Tom, qui
était à mille lieues de comprendre le drame qui s'était
joué pendant cette semaine harassante. Le visage du petit semblait
sourire aux anges. Un an tout juste. Et dans quelques années, pensa
Osange, il faudra tout lui dire. Comment cela se passera-t-il ?
Si on lui avait prédit dix ans plus tôt qu'un jour tous ses
espoirs d'avenir reposeraient sur le sourire de l'enfant d'une autre, Osange
aurait demandé au ciel de gommer cette partie du scénario de sa
vie et de la réécrire. Elle avait 23 ans lorsque la nouvelle
était tombée comme un cheveu sur la soupe. Un examen de routine
dans sa vie étudiante. Le médecin avait tenu à la recevoir
uniquement si elle venait accompagnée. Elle avait alors demandé
à Jeanelle, sa meilleure amie, de la conduire à l'hôpital.
Assise dans la salle d'attente de cet hôpital toulousain, Osange se
disait que la mauvaise nouvelle serait au rendez-vous. D'angoisse, elle
s'était rongée les ongles toute la journée. Dans cette
salle qu'elle trouvait un peu trop froide pour l'humeur du jour, l'impatience
devenait assassine. Avec une demi heure de retard, le médecin la fit
appeler. Il souriait. De gêne peut-être. Elles s'assirent.
Le médecin parla en des termes très compliqués. Voulant
couper court à tout ce charabia auquel elle ne comprenait rien, Osange
lança : « Dites-moi ce qui ne va pas, docteur. » Le
médecin toussa et expliqua : « ... en d'autres termes, vous ne
pourrez pas avoir d'enfant. »
Le monde ce jour là s'effondra pour Osange. Comment annoncer la
nouvelle à Christ, son amoureux, qui l'attendait devant un cinéma
à 18 heures ? La main de Jeanelle sur son épaule l'irrita au plus
au point. Son amie tenta des mots d'apaisement. Osange la regarda sans rien
dire. A quoi bon cracher à cette innocente son ressentiment en pleine
figure ! Elle se contenta de s'enfuir en courant. Aller loin. Prise de panique,
Jeanelle appela Chris. Tous deux passèrent quatre heures à
s'inquiéter, se demandant où elle était passée.
Pendant ce temps, cette dernière était assise sur le siège
d'une rame de métro, allant jusqu'au terminus, reprenant le métro
en sens inverse. Un voyage incessant d'un bout à l'autre de la ville.
Pourquoi rentrer ? Comment annoncer la nouvelle à Chris ? Comment le
dire à Martha, sa mère ? Comment vivre après cela ? Dire
qu'un mois auparavant, après un retard qui l'avait
inquiétée, elle se croyait enceinte ! Et voilà
qu'ironiquement la vie lui donnait une gifle. Osange descendit du train. Elle
le regarda partir et fixa les rails qui s'offraient à son regard perdu
dans le vide. Elle resta statique pendant un temps inquiétant pour
l'agent de la sécurité qui arriva et l'invita à
s'éloigner des quais. « Voulez-vous que j'appelle quelqu'un ?
» fit-il.
Il pleuvait la nuit où Chris s'est éclipsé de la vie
d'Osange. Parti en abandonnant ses vêtements dans la corbeille de linge
sale ; n'emportant que son ordinateur portable et ses CD. Le poids du remord
avait fini par le ronger, lui qui avait mis la pression pour qu'elle se rendit
dans cette clinique qui allait la faire passer de l'état de future maman
à celui d'éternelle repentante.
Aujourd'hui, couchée dans le même lit que l'homme auquel elle a
attaché sa vie, Osange se dit que le chemin vers le bonheur a
été long. Après la défection de Chris, laissant la
canicule toulousaine derrière elle, elle était rentrée au
pays pour 3 longs mois de vacances. Elle avait passé des nuits
entières à pleurer sur les épaules de sa mère qui
trouva les mots pour la réconforter. Un jour de mai, deux ans plus tard,
Justin sonna à sa porte pour lui livrer la pizza que Jeanelle et elle
attendaient.
« Cela fait trois quarts d'heure que nous attendons »,
cria-t-elle.
« Un si beau visage ne devrait pas s'énerver », avait-il
fait.
Elle avait sourit et il avait fait le pied de grue le lendemain pour être
sûr de la revoir. De conversation en conversation, de sortie
cinéma en sortie cinéma, elle finit par suivre le conseil de
Jeanelle, qui dès le début, l'avait poussé à
accepter toutes les invitations de Justin. Il était amoureux. Elle osa
croire que l'amour l'aiderait à surmonter une partie de son chagrin.
Le jour où il lui annonça son intention d'officialiser leur
union, Osange rangea dans une immense boîte, le carnet dans lequel,
adolescente, elle écrivait la vie dont elle rêvait : .... Avoir
trois enfants multicolores avec lesquels elle ferait le tour du monde. Jamais
un mari n'était mentionné dans cette vie.
Robe blanche, parvis de l'hôtel de ville à Nanterre, les larmes
inondèrent le visage de Martha dont la fille unique venait de dire oui,
à un homme charmant, honnête et respectueux. Alléluia,
Martha prierait chaque jour pour que cette union dure toujours.
Ce fut sous un soleil de plomb ce mardi 13 janvier 2004 que la nouvelle
atterrit comme une claque dans les oreilles d'Osange. Rentrés
définitivement au pays, elle travaillait comme Adjointe au directeur des
Ressources Humaines dans un grand hôtel et Justin, comme ingénieur
dans une compagnie pétrolière. Entre weekends et vacances en
amoureux, ils s'étaient créé une gentille petite vie
égayée par les rires de leurs neveux. Observant le regard de
Justin sur ces bambins, Osange se disait que fatalement, il finirait par aller
chercher chez une autre, ce que jamais elle ne lui donnerait et elle
s'attendait à tout. Vraiment à tout. Sauf à ce que devait
lui confier sa meilleur amie à la sortie du bureau, ce mardi là.
Jeanelle et Osange étaient amies d'enfance. L'une était l'ombre
de l'autre et vis versa. Petites, l'on parlait à l'une et s'était
l'autre qui répondait. Adolescentes, Osange avait couvert les escapades
nocturnes de son amie, qui très tôt s'était laissée
prendre par le virus des boîtes de nuit. Etudiantes, elles se
confièrent tout et restèrent unies comme deux sœurs,
malgré les 250 kilomètres de train, qui les séparaient
l'une de l'autre. Aussi jamais Osange n'aurait-elle pu, même dans ses
cauchemars, imaginer ce que son amie venait de lui confier. Elle n'y pouvait
croire :
« Tu as osé coucher avec mon mari ! Dis-moi que ce n'est
pas vrai. Et je parie que jamais je ne l'aurais su si tu n'étais pas
enceinte aujourd'hui. »
« C'est arrivé une seule fois, je te l'assure. Je m'en veux
terriblement, tu sais. Je ne voulais pas te faire souffrir. »
Un jour que son amie était absente, elle était
passée offrir à manger au mari célibataire pendant les dix
jours de formation de son épouse. Ils avaient discuté. Elle
était revenue les jours suivants. Discuter. Et, une nuit à la
veille du retour d'Osange, quelque chose eut lieu. Une chose que Justin
effaça de sa mémoire. Une chose que Jeanelle se promettait de
garder au fond d'elle. Cela jusqu'au jour où, Paula, son amie
médecin, lui annonça : « Tu n'es pas malade, mais enceinte.
Alors, qui est le papa ? »
Personne ne connaissait de relation sérieuse à Jeanelle. La
mère de cette dernière était d'ailleurs
excédée par le comportement de sa fille qui lui criait à
tout vent : « Je n'ai pas besoin d'un homme dans ma vie. Je n'ai pas
envie de finir comme toi, à courber l'échine devant un mari
ingrat. Je rêve d'une autre vie que la tienne, maman. Je tiens à
ma liberté. »
Osange garda pour elle la nouvelle que lui annonça Jeanelle. Elle n'eut
pas le courage de s'enflammer contre cette dernière. Elle lui demanda
simplement de ne plus l'approcher. A la maison, elle ne dit rien à son
mari. Les regards qu'ils échangèrent pendant le déjeuner
firent comprendre à l'un ce que pensait l'autre et vice versa.
Lorsqu'elle se leva de table, Justin la supplia : « Dis quelque chose
chérie. », mais elle se dirigea vers leur chambre à
coucher, sans un regard. Une semaine durant, aucun mot ne sortit de sa bouche
pour calmer les angoisses de son mari. Elle prit une semaine de repos et
accompagna sa mère dans le village familial. A son retour, rien ne
changea. La question qui lui brûlait les lèvres, restait sans
réponse dans sa tête : « C'était une sœur
pour moi. Pourquoi mon mari ? » Et ce dernier se répandait
en excuses, lui redisant combien il l'aimait. Lui confessant qu'il
n'était rien sans elle et qu'il ne voulait pas la perdre. Le mutisme
dans lequel s'était retranchée Osange, mit deux mois à se
rompre.
La loyauté envers sa femme empêcha Justin de répondre aux
appels de Jeanelle. Les crises de larmes furent au quotidien pendant toute sa
grossesse. Elle agressait le téléphone portable de
Justin, le criblant de messages. Pourtant, en rencontrant Osange au
marché les samedis matins, elle s'effaçait comme pour
éviter le courroux de son ex meilleure amie. Les deux femmes ne se
parlaient plus. L'une pour éviter des mots désagréables.
L'autre, pour garder son calme.
Tom poussa son premier cri en une douce nuit de mai. L'on appela le
père. Ce fut Osange qui décrocha le téléphone alors
que Justin se trouvait sous la douche. La mère de Jeanelle s'excusait de
déranger. Osange la rassura en la remerciant d'avoir appelé.
« Nous allons quelque part », fit-elle à son mari qui
s'essuyait la tête d'une main, tenant son portable de l'autre.
Silence dans la voiture. Silence dans les couloirs de la maternité.
Silence devant la porte d'entrée de la chambre de l'accouchée.
Silence pendant la visite. Tom frissonna dans les bras de son père.
Harassée de fatigue, Jeanelle dormait. Silence sur le chemin du retour.
Pourtant le lendemain, Osange ne put s'empêcher d'aller cueillir le
regard du petit Tom. Elle le garda dans ses bras tellement longtemps que son ex
meilleure amie ne pu s'empêcher de lui dire : « Merci d'être
là. »
Un rituel s'installa alors entre Tom et Osange. Elle passait lui donner son
bain à la sortir du travail tous les soirs et le gardait le week-end.
Tout cela sous le regard empli de gratitude de son amie Jeanelle, qui un soir
lui confia : « La vie est injuste. Moi qui ne voulais pas d'enfant, je
t'en vole un. »
Justin avait, lui, du mal à trouver une place dans cette relation ;
aussi gardait-il ses distances, se disant que le moment de faire son
entrée dans la vie de son fils, arriverait sans forcer.
Une méningite écrivit le mot fin à la vie de Jeanelle.
Dans un moment de délire entre sérénité et effet
des tranquillisants, elle demanda pardon à son amie. Quatre jours
avaient suffi pour les adieux. Après les
cérémonies mortuaires, la grand-mère du petit Tom le
confia aux mains d'Osange en lui disant : « Garde-le. Je suis trop vieille
pour m'occuper d'un enfant. » Alors, partagée entre sa douleur et
l'appel de son cœur, ce fut le regard de Justin qui la convainquit
d'accepter le bonheur que le ciel mettait dans ses mains.
Cette nuit, alors qu'il y a une semaine à l'église les proches
ont chanté « ce n'est qu'un au revoir », Osange ne peut se
refuser au bonheur égoïste d'être enfin mère. Elle se
dit que parfois, cela la dérangera sûrement de vivre la vie d'une
autre. Mais à cet instant précis, son esprit est empli de
gratitude envers la providence qui lui a ouvert les voies d'un bonheur
incommensurable. La serrant fort dans ses bras, son mari lui murmure un «
je t'aime » avant de plonger dans un profond sommeil. Cette nuit, Osange
ne fermera pas les yeux. Quelques mètres la séparent de la
chambre de Tom, mais elle peut entendre les battements de son cœur.
© Edna Marysca Merey Apinda, 2007.
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The University of Western Australia/French
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