Il pleut sur la ville Une nouvelle d'Edna Marysca Merey Apinda 2008 |
« Il pleut sur Port-Gentil ce soir. Par la fenêtre de ma chambre, je
regarde les gouttes de pluie venir lamentablement mourir sur le sol. Je souris
en pensant à ce que je ferais si j'étais encore enfant. Je serais
en train de danser sous la pluie, comme une petite folle, sans prêter
attention aux injonctions de ma mère qui, folle de rage, finirait par
venir me tirer de là en hurlant à la punition la plus terrible.
Mais aujourd'hui j'ai 25 ans et la pluie est bien froide. Le ciel semble aussi
triste que moi. Il déverse sa rage avec beaucoup de force. Je me demande
alors de quel chagrin il peut bien souffrir. Plus je le regarde, plus je me dis
qu'il s'est emparé de mon deuil et l'a fait sien. Les larmes comme un
fil infini, enveniment mon visage et laissent mes yeux orphelins.
© Edna Marysca Merey Apinda, 2008
Cinq jours ont déjà passé. Pourtant il me semble que
c'était il y a une minute que je quittais Ludovic en lui disant :
« A tout à l'heure, mon cœur. Je t'aime. » Ludovic. La
douleur du départ est toujours palpable. Mon cœur bat à tout
rompre dès que me reviennent en mémoire les circonstances de son
départ. Autant vous dire, qu'en le voyant la première fois, je
nous voyais être encore ensemble et amoureux dans dix mille ans. Qu'y
peut-on ? La vie décide. Elle nous assemble ou nous sépare
à sa guise.
La pluie dehors chante un refrain de tous les diables. Du coup, ma tête
se met à bourdonner. Il faut que je m'asseye. Dieu comme je me sens mal
! Si je me confiais à vous, pensez vous que je me sentirais mieux
après ?
J'arpentais le hall de l'aéroport de Roissy, il y a deux ans.
Je rentrais de vacances avec deux amis, Carmelita et Christ. Ces derniers
m'avaient invitée à passer deux semaines dans leur famille
à Porto-Novo. Le séjour avait été fort
agréable et je rentrais avec la tête pleine de souvenirs à
raconter plus tard à mes enfants. Carmelita se plaignait. Elle aurait
aimé rester quelques jours encore. D'autant que derrière nous,
nous laissions le soleil pour venir affronter le froid parisien. Son
frère Christ était plutôt heureux de rentrer. Linda sa
fiancée l'attendait avec impatience. Je riais de voir le frère et la sœur se taquiner et, distraite,
je finis par bousculer la personne qui était devant moi. C'était un homme qui se retourna vert de rage. Je crois que ce fut mon regard contrit qui le fit passer de la colère à un agréable : « Vous auriez pu vous faire
très mal ! » Il sourit. Je restai bêtement hypnotisée
par les belles lèvres qui reflétaient la bonhomie de ce jeune
homme.
- Étant donné que vous m'êtes redevable, puis-je savoir votre prénom ?
Je restai là, bête, sans voix. Sa voix...
- Cette charmante jeune fille se prénomme Anissa et n'ayez crainte, elle
n'a pas perdu sa langue. Elle est sûrement sous le charme, fit Carmelita
que je promettais secrètement d'étrangler aussitôt
arrivée à la maison.
- Alors, Anissa me ferait-elle l'honneur de prendre un verre ?
Les mots continuaient de mourir au seuil de ma bouche.
- Bien sûr qu'elle est d'accord, lança Carmelita. N'est-ce pas
Anissa ? Nous nous retrouvons tout à l'heure. Tiens, laisse-moi te
débarrasser de ta valise. Tu viens Christ. Nous rentrons. A tout
à l'heure ma puce.
Aussitôt dit, aussitôt fait, mes amis m'abandonnaient comme si de
rien n'était. Il me fallait donc très vite reprendre mes
esprits.
Assis dans un café, deux minutes plus tard, les présentations
furent vite faites :
- Je m'appelle Ludovic. Je suis informaticien. On se tutoie, veux-tu ?
- Euh ! Je.... Oui. Où habites-tu ?
- Tu as une très jolie voix, tu sais. Je suis de passage en France. Je
partage un appartement à Londres avec deux amis
d'enfance, Pascal et Charles. Ne me demande pas pourquoi nous sommes tous les trois devenus
informaticiens. Je ne saurais pas te répondre. Alors, si tu me parlais
de toi !
Quoi dire ? Que je préparais un DEA de langues appliquées, que
j'habitais avec mes deux meilleurs amis, les jumeaux Carmelita et Christ ! Que
le dernier garçon auquel j'avais dit je t'aime m'avait quitté six
mois avant pour une autre ! Quoi dire ? Finalement j'ai esquissé un :
- Pour moi, Londres c'est l'une des plus belles villes au monde.
- Alors, tu aimes beaucoup les voyages ? a-t-il répondu.
Nous avons parlé encore et encore. Un peu comme si nous nous
connaissions depuis des lustres. Je dois dire que je fondais
littéralement pour son sourire. Nous avons, au bout d'une heure de blabla,
compris que nous venions de la même ville, Port-Gentil, une petite perle
baignée par l'Atlantique.
- J'y étais il y a deux mois à peine, me dit-il.
- Cela fait trois ans que je ne suis pas rentrée, répondis-je.
Nous avons encore parlé pendant trois quarts d'heure. Puis, il s'est
proposer pour me déposer à mon domicile. « Mon ami Greg, chez
qui je descends, a une voiture. Il est en chemin. »
Échange de numéro de téléphone. Il était
à Paris pour deux semaines. Je comptais bien le revoir. Et qui sait....
Peut-être que....
- Je vais sûrement te paraître trop direct, Anissa, mais sache que
tu me plais énormément. J'aimerais vraiment te revoir.
Dînons ensemble demain soir, si tu es libre.
Plus libre que moi, c'était impossible. Aussi, ai-je dis oui.
Vêtue par Carmelita, j'étais, le lendemain, belle
comme un sous neuf. Elle n'avait pas oublié son parfum fétiche :
Kenzo. Puis elle m'avait prodigué bon nombre de conseils dont le plus
important : ne pas coucher le premier soir. Je le lui promis.
Ludovic et moi allions dîner dans un restaurant chinois. Il
m'écoutait raconter les histoires bêtes de mon enfance. Il
s'étonna d'apprendre qu'adolescente, je jouais au football.
J'étais un véritable garçon manqué. Lui me raconta
sa famille. Ses quatre sœurs.
- Je suis le benjamin de la famille. Elles m'ont cajolé jusqu'à
l'étouffement mais mes sœurs me manquent beaucoup, me confia-t-il.
- Je n'ai qu'un petit frère. Mon père est mort lorsqu'il avait
deux ans. J'en avais cinq et je ne me souviens même pas du visage
souriant dont je garde précieusement la photo dans mon portefeuille. Ma
mère ne s'est jamais remariée.
Après une telle confession, il me fallut souffler. Il raconta une
blague pour faire fuir le chagrin qui promettait de m'envahir. Il avait un
charme fou. Je buvais ses mots. Il racontait sa passion pour les
mathématiques et j'avais vraiment l'impression de comprendre enfin tous
ces trucs compliqués qui m'avaient valu des 3 sur 20 au lycée. Je
tombais amoureuse lentement mais sûrement. C'était un peu
bête. Un peu comme si je l'attendais depuis que mon 'artiste' de
Sébastien m'avait laissée tomber sans ménagement.
Lorsque Ludovic a enfin pris mes mains dans les siennes, j'ai su que dans le
futur (et pourquoi pas l'éternité) je devrai compter avec lui. Je
passai, après cela, les deux semaines les plus belles de toute ma vie.
Nous nous appelions pour un rien dans la journée. Le soir, après
les cours, nous étions ensemble. Restaurant ou fast-food. Ballade sur
les quais parisiens. J'étais folle de lui. Vous dites... Oui, nous avons
fait l'amour. Pas pendant son court séjour à Paris, mais un mois
plus tard, alors que je lui rendais visite pour le week-end. Il se montra
tellement tendre, que mes jambes en frissonnent encore de bonheur. Des larmes
ont coulé à ce moment là, car l'éternité
nous a figés. Mon Dieu, comment était-ce possible d'aimer avec
une telle intensité ?
- J'ai l'impression chaque fois que je te regarde que nous sommes
réellement faits l'un pour l'autre. Dieu, Anissa ! Si tu savais comme je
t'aime.
Il postait chaque jour une petite carte pour moi alors même que nous
échangions des tonnes d'e-mails. La nuit, au téléphone avant
que je ne m'endorme, il me répétait combien il était
impatient de me voir. Je prenais le train tous les vendredis en début
d'après-midi pour aller à Londres vivre le bonheur d'être
à deux, amoureux fous.
Pascal et Charles les amis de Ludovic (ses frères comme il aimait
à le répéter), n'en revenaient pas du changement survenu
dans la vie de leur ami. Jamais, me disaient-ils, ils ne l'avaient vu aussi
amoureux. « Tu nous fais du bien à tous, chère Anissa. Je
peux te dire que nous commencions à en avoir raz le bol que Ludovic nous
traîne tous les samedis en boîte de nuit. Avec toi, il s'assagit et c'est
tant mieux. »
Les sœurs de mon amoureux (que je connaissais par téléphone
interposé), m'avaient adoptée. Elles furent les premières
à parler mariage, car jamais leur petit frère ne leur avait
'officiellement' présenté une fille. J'étais la bienvenue
dans leur famille. Dans la mienne, maman voulait voir pour adopter et mon
frère voyait en Ludovic un confident. Autant dire que tous les
ingrédients du bonheur étaient réunis pour notre couple.
Alors que ce 9 janvier 2005, nous fêtions l'anniversaire de notre
rencontre, Ludovic sortit de sa poche la bague qui allait me faire fondre.
- Nous serons au Gabon dans quelques mois. Si nous en profitions pour nous
fiancer ? Autant te le dire : j'ai déjà prévenu mes
sœurs.
- Que suis-je censée répondre à cela ? fis-je en
souriant.
- Dis seulement oui et le reste se fera tout seul. Tu seras ma femme. C'est ton
visage que je veux voir tous les matins en me réveillant, m'a-t-il
confié en me regardant droit dans les yeux.
La sincérité qui transpirait de sa déclaration m'a
arraché des larmes. C'est à ce moment là que je me suis
vraiment rendu compte que désormais sans lui, je n'étais plus
rien.
Les mois qui nous menèrent à Août passèrent
très vite. Je pris l'avion deux jours avant lui, accompagnée par
Carmelita, ma fidèle amie. Mon frère Karl m'attendait à ma
descente de l'avion. Je reçus très vite le coup de fil de Rita,
la sœur aînée de Ludovic. Puis se fut Loris, la cadette, qui
vint me chercher pour un après-midi shopping. Ludovic arriva avec ses
acolytes Charles et Pascal. Ce dernier plaisanta : « Nous avons la charge
de témoigner de l'intensité de votre amour, le jour J. »
Le jour J c'est demain et Ludovic n'est plus là. Du fond de mon
cœur résonne ce cri sourd qui me bouleverse depuis cinq jours.
Accident de circulation. Une voiture neuve que son père avait
achetée spécialement pour lui. En plein jour, carrefour
printemps, la voiture a été balayée en plein feu rouge par
un chauffard. Ils étaient trois dans la voiture. Ludovic, qui
était fatigué, avait cédé sa place de conducteur
à son cousin Franck. Mon frère Karl se trouvait devant et
écoutait la radio en sifflotant. Mort sur le coup, à
l'arrière, alors que le cousin Franck et mon frère s'en sont
sortis avec quelques égratignures. Le chauffard ronflait encore un quart
d'heure après le choc.
Pas même une heure plus tard, il s'est trouvé du monde pour faire
naître la rumeur :
« C'est le fils de qui ? », demandait-on.
« Mort sur le coup ! Excusez-moi, mais c'est vraiment bizarre.
»
« Oh ! Qui dit que ce n'est pas le père qui a sacrifié
son fils unique... C'est bizarre, moi je vous dis. »
« Ces grands types et leurs ambitions sans borne... il a tué
son fils »
« Avec toutes leurs sectes sanguinaires qui sont légion dans le
pays... Ce père là ! Les gens riches ont toujours besoin de
plus.... Cette mort n'est pas banale. Il faut sonder l'affaire. »
Sept jours que Ludovic n'est plus. Et le rythme infernal de la pluie accentue
l'état de démence dans lequel mon frère est plongé
depuis le drame. C'est Ma-Ziza, ma grand-mère, qui le soigne et veille
sur lui. Dans des accès de lucidité, la nuit surtout, il lui
arrive de crier : « Ludovic dormait à l'arrière. » Il
se rendort ensuite d'un sommeil agité.
Ludovic a été mis en terre ce matin. Et depuis qu'il est partit,
plus aucun son ne sort de ma bouche. Ce matin devant sa dépouille, il
m'a semblé l'entendre dire : « Excusez-moi les amis, mais je dois
me dépêcher de partir. La femme que j'aime s'impatiente dès
que j'ai deux secondes de retard. »
Étant donné que dans cette petite ville, aucune mort tragique ne
survint sans raison, la rumeur bourdonne aux oreilles de tous, par-delà
les quartiers, avec exagération. Elle s'est amplifiée avec la
promotion en or du Père Ludovic, ce jour.
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Created: 14 March 2008.
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