-J'ai faim.
Rasoa
-Il y a du manioc dans la marmite. Laisse-s-en un peu pour ton père.
(Jao se sert, s'assied sur la natte, mange)
Jao
-Pourquoi ne me parles-tu pas de notre visiteur?
Rasoa
-De l'infirmier?
Jao
-De l'autre.
Rasoa (abasourdie)
-De l'étranger qui veut te soigner? Comment sais-tu qu'il est venu?
Jao (caresse l'étrange bague en jonc, sourit)
-Mon index. Méfie-toi, maman, tes yeux fuyants sont coupables de complicité contre ton fils!
Rasoa (volubile)
-Mais non, Jao! Cet étranger veut nous aider. Ne refuse pas, je t'en prie. Nous n'avons même plus de pirogue...de quoi vivrons-nous? Que sais-tu faire d'autre, hein? Ton petit frère a besoin de lait, de farine...
Jao (indigné)
-Vivant, je dois vous nourrir tous...et si j'étais vraiment mort? As-tu pleuré quand on t'a annoncé mon décès?
Rasoa (crie)
-Bien sûr, que crois-tu donc? Je suis ta mère...je t'ai porté neuf mois dans mon sein...je t'ai élevé...
Jao (amer)
-Jusqu'où?
Rasoa
-Pardon?
Jao
-Je te pardonne, maman, même si tu m'as trait comme une vache.
Rakoto (s'assied pesamment sur son grabat)
-Le dialogue de l'incompréhension. Moi, je t'ai pleuré, mon fils...ne fût-ce que pour les bouteilles que je m'achetais. Parole d'ivrogne!...de poivrot, comme le dit si bien ce Professeur.
Rasoa (s'écrie)
-Tu ne dormais pas?
Rakoto (ricane)
-Les ronflements d'un dormeur sécurisent et invitent aux confidences. Ta soeur t'a vendu, Jao. Vola a un nom prédestiné, elle ne pense qu'à l'argent, son homonyme.
Rasoa
-Nous en avons grandement besoin, non? Vola au moins pense à moi et à son petit frère.
Rakoto (air mauvais)
-En vendant Jao à ce Professeur? Sais-tu ce qu'il lui fera? D'abord, il sera cobaye. Ensuite, il l'enfermera dans un laboratoire secret pour lui faire faire des travaux secrets! Plus tard, il sera exhibé comme sa chose sous les flash et les projecteurs! (Crie) Une dépersonnalisation...inhumanisation. Une robotisation au nom de la science! Dieu sait laquelle!
Jao (ahuri)
-Papa...ton...langage!
Rakoto (toujours agressif)
-Quoi, mon langage? Tu n'en détiens pas le monopole, que je sache. Je connais aussi Pythagore, Newton, Galilé, Copernic, Einstein! Je peux discourir des guerres cérébrales et du fumeux papyrus Smith jusqu'à la guerre des étoiles, vu?
Jao (se lève d'un bond)
-Mais alors...tu...tu...tu...
Rakoto
-Turlututu...qui veux-tu tuer? Eh oui! ta Kalanoro était aussi amoureuse de moi.
Jao (vexé)
-Ma Kalanoro? C'était sûrement sa mère.
Rakoto (ricane)
-Jaloux, faux-fils? C'est la même, te dis-je. (montre son annulaire gauche). Bague en jonc, pirogue renversée au milieu du lac, ébats amoureux sur une île flottante, mort apparente et réssurrection! Des savants sont aussi venus à cette époque. C'était les colons qui les avaient ameutés. J'ai joué l'alcoolique idiot, ils sont repartis bredouilles. (rires tonitruants) Me croyant ivre-mort, ils se sont disputés devant moi au sujet du financement de leur voyage. Savoureux!
Jao
-Je ferai comme toi.
Rakoto
-Surtout pas, fiston. Il faut rentabiliser nos amours avec la sirène du lac...au fait, est-ce qu'elle t'a fait jouir au moins?
Rasoa (crache sur le sol)
-Des cochons!...vous n'êtes que des cochons! des...des...
Jao
-Des abjections?
Rakoto
-Objections. Les Cerveaux ne sont jamais abjects même dans leurs actes
les plus inférieurs. Ils cherchent et transforment ce monde. Leurs
erreurs les plus monumentales sont des monuments! Qu'on se le dise.
(lève haut la bouteille de rhum à moitié vide)
Jao, demain je te promets du champagne bien frais dans des flûtes de cristal.
Jao (sourit)
-Une vraie fixation...poivrot!
Rakoto (minaude)
-N'est-il pas vrai?
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