D'Orphée à Prométhée: La poésie africaine au féminin
      https://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/Bassole.html
      © Angèle Bassolé Ouédraogo


      TABLE DES MATIERES
      DE L'ARTICLE

      1. Présentation

      2. Annette M'Baye d'Erneville

      3. Kiné Kirama Fall

      4. Coumba Mbengué Diakhaté

      5. Tanella Boni

      6. Véronique Tadjo

      7. Bernadette Sanou

      8. Pierrette Kanzié

      9. Pour conclure

      3. KINE KIRAMA FALL

      ... Kiné Kirama Fall est l'une de ces voix porteuses d'espoir qui introduit par ses Chants de la rivière fraîche (que dans les citations nous allons abréger en CRF) [3] et Les Élans de grâce (LÉG)[4], une thématique neuve dans le champ de la poésie africaine. L'amour sensuel et la religion, jusque là occultés par pudeur ou par crainte, trouvent sous la plume de cette poète passionnée un développement inattendu, donnant par là - même un grand élan à l'expression encore timide des premières voix féminines.

      Chants de la rivière fraîche ou l'hymne à l'amour!
      Composé comme une suite de chants, la plupart des poèmes de ce recueil portent le sous-titre de chant. Ce sont des chants adressés soit à l'être aimé, soit à Dieu, soit à la terre natale de la poète. Rivière fraîche est d'ailleurs un clin d'oeil à Rufisque, la ville natale de Kiné Kirama Fall. Rufisque dériverait selon Senghor (le préfacier du recueil) du portugais rio fresco , rivière fraîche.

        C'est la terre
        De mon pays natal
        Le temps de remonter à mes sources, à mes Ancêtres (Mon Pays natal , CRF, p. 55).

      Cette terre natale constitue un point d'ancrage essentiel, parce qu'elle évoque la quiétude, l'apaisement.

        Toi qui es seuil de tout commencement,
        Où repose tout ce qui demeure,
        Source de vie de tout ce qui
        Vole, vit et meurt,
        Arbres, animaux, êtres et choses (idem.)

      Dans cet hymne d'amour, la nature et l'être aimé se confondent parfois :

        Dans la brume légère,
        Au seuil du jour,
        Aujourd'hui davantage que les autres fois,
        J'avais la nostalgie de toi,
        De ton panorama de verdure, de fleurs,
        De ton parfum innocent,
        Du bleu de ton ciel.
        (...)
        Je t'aime, je t'aime.
        Aujourd'hui je te le dis
        Davantage que les autres fois (La Forêt , CRF, p. 16.)

      Cette sérénité parfaite avec la nature est le prémisse nécessaire à l'écoulement du chant d'amour qui se fait sans fausse pudeur, ni peur des tabous.

        Habite mon coeur et chauffe mon âme
        Que tes baisers puissent calmer ma soif,
        Que mon coeur batte au rythme de ton souffle,
        Que ton regard chaud de tendresse
        Se pose sur moi.
        Que la caresse de tes mains chauffe mon corps.
        Je veux entendre ta voix sortir de l'océan profond de l'amour
        Comme une plante rare du paradis.
        Je veux renaître dans tes bras. (L'Espoir , CRF, p. 15.)

      Tout le recueil est habité par cet élan de la passion qui dévore mais se répand langoureusement comme des notes sensuelles sur un fond lancinant d'incertitude.

        C'était à la plage,
        Au bord de l'eau,
        Par un jour de brume.
        Le soleil hésitait.
        Me tenant dans ses bras
        Il me berçait avec tendresse.
        Le blanc de ses yeux
          Était ma lumière du jour,
        Le bleu du ciel
          Était mon printemps,
        L'éclat de son sourire
          Mon rayon de soleil.

      L'évocation de la passion amoureuse est ainsi alternée de ces interrogations angoissantes:

        Es-tu mon amour?
        Si tu n'es pas mon amour,
        Va, va très loin de moi
        Si tu n'es pas mon amour
        Que le vent t'emporte loin de moi.
        Mais si tu es mon amour,
        Reste et garde-moi dans tes bras
          Jusqu'au matin.

      La passion peut-elle effacer le doute?

        J'étais là paralysée
        Dans un tourbillon de plaisir.
        La raison avait fui très loin,
        Mon bonheur avait le goût du rêve,
        Aucun mot ne sortait de mes lèvres,
        J'étais l'esclave de ses yeux
        En ce jour de brume
        Au bord de l'eau (Dans la nuit chaude , CRF, p. 51)

      L'incertitude vient altérer cette plénitude de l'amour :

        Es-tu mon amour?
        Si tu n'es pas mon amour,
        Laisse-moi et va très loin de moi,
        Si tu n'es pas mon amour,
        Que le vent t'emporte loin de moi,

      Mais il subsiste néanmoins un petit espoir :

        Mais si tu es mon amour
        Reste et garde-moi dans tes bras
        Jusqu'au matin.

      Ce petit espoir peut grandir par la magie de l'amour comme le laissent supposer ces notes :

        Son front était posé sur le mien.
        Sur ce lac de bonheur,
        Mon coeur s'affolait.
        À mon silence,
        Son regard s'assombrit.
        Il me prit le visage
        Comme un cheval fougueux,
        Et l'ardeur de son baiser
        Avait le goût de l'ivresse.
        La brise et la mer chantaient
        Emportant mes doutes comme une paille. (Un Jour de brume, CRF, pp. 37-38.)

      Le doute s'étant évaporé par la magie des mots de la passion, l'hymne à l'amour peut maintenant retentir, flamboyant, porté par les ailes de l'espoir :

        Je t'aimerai
        Longtemps longtemps, longtemps,
        Je t'aimerai, je t'aimerai

        Toujours.
        Quand tu as posé ta main
        Sur mes hanches,
        Suivant le rythme des fibres de mon corps,
        Nos autres mains se sont croisées.
        Nous dansâmes au doux son de la musique.
        La voix qui me parlait toujours
        Était la voix de l'amour.

        Tant que le soleil
        Nous chauffera le coeur,
        Tant que la lune brillera le soir,
        Tant qu'il y aura des étoiles,
        Que j'entende ta voix me parler d'amour
        Tant qu'il me restera un souffle de vie.

        Je t'aimerai
        Toujours,
        Toujours. (Je t'aimerai , CRF, pp. 44-45.)

      Si les Chants de la rivière fraîche sont un hymne à l'amour, le second recueil de Kiné Kirama Fall constitue une quête profonde de spiritualité. Les Élans de grâce préfigurent l'ascension finale, aboutissement de cette quête perpétuelle de Dieu.

      Les Élans de grâce : une quête profonde de spiritualité
      Cette longue quête se fait avec la complicité de la nature à travers laquelle la poète soupçonne la présence d'une force secrète, suprême qu'elle traque sans répit :

        Dites-moi je vous en prie
        Où puisez-vous le renouvellement
        De vos fougues jusqu'au crépuscule? (LÉG, p.11)

        Peux-tu me dire
        Où se trouvent tes sources
        Me parler de ta naissance? (LÉG, p. 13)

        Toi qui règnes au-dessus du sable
        Où s'enfoncent tes racines
        De quel côté gardes-tu tes réserves
        Dis-moi ce que tu engendres chaque jour (LÉG, p. 14)

        Dis-moi
        Ombre du monde
        Ce qu'il y a derrière ton existence brumeuse (LÉG, p. 59)

      La conviction de l'existence de cette force suprême inspire à la poète un sentiment d'adoration :

        Je m'incline dans un silence profond et sacré
        Car ta beauté m'éblouit
        Accueille mon âme
        O Ciel
        Qui s'envole vers toi
        Et va dire au maître
        Assis plus haut
        Les souffles exaltants
        De mes rêves bleus (LÉG, p. 59)

      La nature, fidèle complice, est associée au partage de ce bonheur divin :

        Je convierai toutes les roses
        Les essences et les parfums
        Demain dans ma demeure
        Je mettrai toutes mes parures
        Mes plus beaux habits
        Et je prierai mon Dieu (LÉG, p. 60)

      L'harmonie, dans ce cadre, devient totale :

        Une palme accrocha mon regard
        Je lui souris
        Elle berça en chantant le lac
        Le lac berça ses vagues
        Les vagues bercèrent les sables
        Et comme des neiges de dentelles
        Ces flux et ces reflux
        Dansaient au bord de la place
        Mêlés au parfum de la brise
        A l'envol et aux cris des oiseaux
        Tout berça mon coeur
        L'air chantait, ravi
        Tout coulait
        Tout respirait l'amour, la vie
        Il y avait
        Le dandinement des cygnes
        Au bord du lac

        L'éventail des papillons partant là-bas (LÉG, pp. 50-51)

      De ce coeur débordant pour le Dieu en qui la poète croit, fuse alors un hymne exaltant :

        Hors de moi jaillit pour vous toujours
        Une berceuse que vous chante mon coeur
        Des cordes du plus profond de lui
        Se tendent comme un arc vers Vous
        Vous dit et vous redit toujours
        Je vous aime et vous adore Seigneur
        C'est un chant que vous chante mon coeur
        Inlassablement
        Cette mélodie finira en moi
        Quand finira ma vie
        Si mon chant vous plaît Seigneur
        Gardez-moi sous votre sein toujours (LÉG, p. 60).

      Dans un tel décor féerique et harmonieux où toute la nature vibre au même rythme, se dégage une douce mélodie enveloppante, euphorisante, baignée par une sur-réalité. Le décor de la poésie mystique est fixé; l'envol est inéluctable :

        Et je prends l'essor
        Avec des élans de grâce
        J'étais la symphonie lumineuse et sublime
        Le bras du vent
        Qui tend et qui donne
        O berce-moi berce - moi
        Fouille-moi zéphyr
        Goutte-moi
        Porte-moi
        Rien au-delà des apparences et des formes
        Sur sa robe du bleu clair
        Et toujours plus limpide du ciel
        Dans le verbe du silence
        Au-delà des paroles
        Et là garde-moi (LÉG, p. 51)

      Dans cette atmosphère exaltée, seul le silence a maintenant droit de cité et seule aussi la puissance inébranlable que la croyante soupçonne derrière ce silence compte vraiment :

        En vérité
        Il n'y a que l'unique gloire de Dieu
        Et rien n'est comparable
        A l'essor de la Nature quand elle chante l'Amour
        Au sublime que donne l'Esprit
        Maintenant je sais
        Depuis que mon âme a sondé l'air des cieux
        Que rien n'est comparable vraiment rien
        Au Rayonnement de l'Esprit (LÉG, p. 52)

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      Notes

      [3] Kiné Kirama Fall Chants de la rivière fraîche. Dakar: NEA, 1975, 64 p.

      [4] Kiné Kirama Fall Les Élans de grâce. Yaoundé: Clé, 1979, 75 p.


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