D'Orphée à Prométhée: La poésie africaine au féminin
      https://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/Bassole.html
      © Angèle Bassolé Ouédraogo


      TABLE DES MATIERES
      DE L'ARTICLE

      1. Présentation

      2. Annette M'Baye d'Erneville

      3. Kiné Kirama Fall

      4. Coumba Mbengué Diakhaté

      5. Tanella Boni

      6. Véronique Tadjo

      7. Bernadette Sanou

      8. Pierrette Kanzié

      9. Pour conclure

      9. POUR CONCLURE

        Femme, pose sur mon front tes mains balsamiques, tes
        mains douces plus que fourrure,
        Là-haut les palmes balancées qui bruissent dans la haute
        brise nocturne[13]

        Femme nue, femme noire
        Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
        Femme nue, femme obscure
        Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir,
           bouche qui fait lyrique ma bouche
        Savane aux horizons purs, savane qui frémit aux caresses
           ferventes du Vent d'Est[14]

      À ces chants nostalgiques, hommages éternels à des femmes idéalisées à l'extrême dont on cherche vainement l'existence, les femmes répondent par des chants aux sonorités autres et dont les accents n'égrènent pas toujours la mélodie du paradis perdu que les hommes s'évertuent à trouver dans ces femmes qu'ils chantent :

        Les poètes du couvre-feu             les poètes du
        couvre - femme             les poètes te couvrent de
        fleurs sales             du village de la participation
        du linge propre de la conciliation             toi
        l'illuminée sans lumière             toi l'ouvrière au
        noir             au noir sans voix             toi la somme
        des bluffs libres             libres comme le vent (GDS, p. 54)

      Même si tous les poètes et romanciers africains n'ont pas représenté la femme africaine à partir de leurs désirs ou fantasmes, il reste néanmoins que la vision idéaliste d'une Afrique paisible et prospère symbolisée par la femme, amante et mère, a du mal à s'effacer de l'imaginaire de nombre d'entre eux qui semblent en avoir besoin pour se ressourcer. Or, les femmes ne veulent plus se contenter de cette image ainsi que l'a si bien exprimé Mariama Bâ :

        Les chants nostalgiques dédiés à la mère africaine confondue dans les angoisses d'homme à la Mère Afrique ne nous suffisent plus. Il faut donner à la femme noire dans la littérature africaine une dimension à la mesure de son engagement prouvé à côté de l'homme dans les batailles de libération, une dimension à la mesure de ses capacités démontrées dans le développement économique de notre pays. Cette place ne lui reviendra pas sans sa participation effective[15].

      Ce message de l'une des pionnières du roman africain féminin a trouvé un écho chez ses consoeurs dont l'exaspération face à cette image surannée d'elles, les a tout naturellement conduites vers la création de personnages rebelles qui leur ressemblent et dont le message de contestation ébranle la tradition :

        Aujourd'hui            nous irons faire du bruit
        de l'autre côté du Mur             la frontière à trouer
        comme un essaim d'abeilles             sans passeport
        comme un nuage de criquets             sur
        Johannesburg            sur Pretoria             nous
        irons ensemble comme un nuage fondant
        chanter un requiem noir            pour l'Apartheid (GDS, p. 60)

      La toile de fond pour les poètes comme pour les romancières est un espace de lutte effrénée contre un quotidien fait de douleur, de pleurs, de misères; on voit alors se déployer des figures de femmes révoltées contre un statut social imposé arbitrairement et décidées à mener leur propre quête jusqu'au bout. Des femmes atypiques apparaissent alors qui prennent leur destinée en main et remettent en cause les traditions. Les poètes décrivent des femmes qui disent leur désir sans honte, crient leur révolte face aux misères et aux injustices sociales. L'image des femmes soumises à leurs maris ou à leurs pères, absentes du champ social où tout se joue, s'évanouit peu à peu. Le décor change et les acteurs avec lui.

      En se réappropriant l'image longtemps tronquée d'elles-mêmes, les femmes poètes essaient d'en donner le meilleur reflet possible, à leur manière et indépendemment de leurs confrères. La rébellion contre un discours hégémonique dominant s'organise à travers la création de personnages évoluant dans des conditions nouvelles et véhiculant un discours différent. Une ère nouvelle a commencé et l'histoire d'une autre écriture en train de se faire en témoigne. La poésie africaine au féminin ne chante pas les valeurs perdues de la Négritude, elle ne s'inscrit pas plus dans le discours féministe occidental, mais elle professe simplement l'existence des femmes africaines et exige qu'on prête attention à la voix de ces dernières.

      Le premier acte de rébellion des écrivaines et poètes a consisté à braver les interdits, à briser le tabou du silence et à prendre la parole afin de raconter leur propre histoire sans intermédiaires mais comme le résume à merveille Nafissatou Diallo :

        Écrire pour dire qu'on a aimé père et mère? La bonne nouvelle! J'espère avoir fait un peu plus, avoir été au-delà des tabous du silence qui règne sur nos émotions[16]

      Poétiquement vôtre.
      Angèle Bassolé Ouédraogo

      DEBUT DE L'ARTICLE


      Notes

      [13] Léopold Sédar Senghor, "Nuit de Sine", Chants d'Ombre, Paris, Seuil, 1984, p. 14.

      [14] Idem,"Femme noire", op. cit., p. 16.

      [15] Mariama Bâ, "La fonction politique des littératures africaines écrites", Écriture française dans le monde, vol. 3, no 5, 1981, p. 6.

      [16] Nafissatou Diallo, De Tilène au Plateau, une enfance dakaroise, p. 132


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