DE L'ARTICLE |
7. BERNADETTE SANOU ... Bernadette Sanou qui est originaire du Burkina faso a choisi pour son premier recueil un titre qui évoque cette expérience particulière de la douleur. Parturition[9] nous ouvre à ce domaine de la souffrance féminine et somme toute simplement humaine. Ce registre de la souffrance demeure ouvert avec Les tombes qui pleurent[10](LTQP) de sa jeune compatriote Pierrette Kanzié.
"Parturition" et "Les Tombes qui
pleurent" : l'expérience de la douleur Parturition évoque une double douleur : celle des femmes mais aussi celle de toute une société dont le quotidien constitue une lutte permanente pour survivre. L'image saisissante des Tombes qui pleurent suffit à nous indiquer le ton du recueil. À travers Parturition, Bernadette Sanou nous amène à découvrir et à appréhender la douleur qui frappe tous les niveaux de la vie sociale, à des degrés divers : sur les traits de la femme en couches, ceux du paysan qui trime sur une terre ingrate et aride, ceux défigurés de la fillette subissant le rite atroce de l'excision :
Mon peuple Faire mien le gamin tout nu Au ventre bombé par la malnutrition Mien le gamin en haillons Traînant dans la poussière des rues La peau du visage si blanchie par l'harmattan Tendant aux passants une boîte de tomate vide En guise de sébile Mien, le vieil homme au talon crevassé À même le sol sec. Tirant et tirant encore la daba sur le sol sec. Mienne, l'épouse pilant le mil pour la pâte du soir, Pilant les feuilles de baobab sèches pour la sauce du soir Et je quête en vain un goût de viande dans cette sauce. Mienne, la triste cohorte de femmes Vers un point d'eau lointain, incertain; Et sur leurs lèvres desséchées, un chant se meurt doucement Mienne, la femme au ventre mûr revenant du champ : Elle porte sur la tête un fagot de bois énorme Et dans son dos le babil du bébé de l'an dernier. Je voulais simplement dire Mon peuple Faire mienne la femme en couches qui s'éteint La science des vieilles accoucheuses a failli, Et les matrones du centre n'ont pu faire mieux. Mienne, la fillette aux yeux hagards : On la tient fermement, on lui écarte les jambes, brutalement Et le couteau, souillé déjà Arrache de sa gorge tendre un cri de douleur atroce! (Parturition, p. 16)
La douleur se trouve comme tapie dans tous les recoins de l'espace social. Le
quotidien en semble totalement imprégné. Lancinante,
pernicieuse, elle est ressentie par tous les membres du corps social. Et la
poète partage cette souffrance des siens. Toute sa préoccupation
est centrée sur son peuple. Nous avons déjà pu constater
comment les africaines se sentaient concernées par le destin de leurs
sociétés, comment elles étaient animées du
désir d'oeuvrer à l'essor de celles - ci.
Mon peuple Mienne aussi et mienne surtout Cette foule, cette masse Autour du cousin Mogoba Et sur tous les visages la même anxiété douloureuse Mienne, cette femme, là - bas, au fond de la cour; Elle frotte de ses mains le dos de la marmite sale Et ses mains ont l'écaille du dos de la marmite On la hèle, on lui apprend qu'à la ville Son fils est élu député Elle dit : Dépité? Et s'en réjouit si peu que mon coeur se glace... Je voulais simplement dire Mon peuple Miens tous ces regards a-vides ( autour du cousin Mogoba (Parturition, p. 24.)
L'image de la parturition constitue un double symbole, celui d'un malaise
social qui se dit en termes d'être et d'avoir. Racontée comme un
conte, l'histoire du peuple que les femmes africaines portent en elles est
pourtant un drame qui se joue au quotidien, dans le même décor,
avec les mêmes acteurs et les mêmes spectateurs.
Cherchez ma poésie Ailleurs que dans le jeu de mots savants Ailleurs que dans l'image bien éclatante Et si bien trouvée! Cherchez ma poésie Dans le marché central, dans la rue Et dans les yeux ternes Du gamin affamé Mais surtout, mais par dessus - tout : Que ma voix ne vous lasse point...(Parturition, p. 13) L'expérience de la douleur dévoilée à travers Parturition se continue à d'autres échelles, sur d'autres fronts, car la douleur domine le quotidien et y est inscrite comme un programme inévitable :
Mais mon pays, lui, continue, morne, lent et Douloureux J'arrête Mais ma hargne, elle, persiste Et ne me quitte pas Mais mon corps reste lourd Et les larmes de mes yeux s'écoulent Gouttes de sang amer, flux et reflux Sur mon peuple et mon pays (Parturition, p. 38) Rythme monotone, cadence lente et douloureuse à l'image de ce pays, la marche s'avère très rude. Faite d'arrêts et de reprises, l'évolution de la quête a tendance à stagner à cause de la douleur et de la tristesse omniprésentes. |
[9] Bernadette Sanou, Parturition, Ouagadougou, Imprimeries Presses Africaines, 1988, 38 p.
[10] Pierrette Sandra Kanzié, Les Tombes qui pleurent, Ouagadougou, Imprimerie nouvelle du centre, 1987, 61 p.