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Nafissatou DIA DIOUF
Entretien avec James GAASCH 2000.
1 - Vous parlez couramment plusieurs langues. Où les avez-vous apprises? Avez-vous vécu dans d'autres pays ?
Je parle en effet cinq langues qui sont le wolof, langue véhiculaire du Sénégal, le français, langue officielle, l'anglais, l'espagnol et l'italien que j'ai appris à l'école, à l'université et surtout à travers mes lectures et mes voyages. J'ai baigné très tôt dans un milieu polyglotte avec une mère professeur de langue et globe-trotter dans l'âme et un père diplomate. J'ai par la suite fait mes cinq années d'études en France, au moment où l'Europe territoriale prenait forme. Toute l'année, je faisais des économies pour pouvoir voyager dans les pays limitrophes pendant l'été. Aujourd'hui, à 26 ans, j'ai pu visiter une douzaine de pays à travers l'Europe, l'Afrique, l'Amérique et l'Asie. J'ai cependant une faiblesse pour Londres, pour Singapour et pour l'Italie.
Outre l'intérêt que j'ai pour les langues, il y a des raisons plus historiques voire génétiques à cela. Je suis de l'ethnie Haal Pulaar et les Peuls sont connus pour être de grands nomades. Ils ont ainsi essaimé dans toute l'Afrique et on les retrouve aujourd'hui sur toute une bande transversale allant de l'Ethiopie jusqu'au Sénégal et la Guinée en passant par le Cameroun, le Niger etc. Ironie du sort, je ne parle pas le pulaar !
2 - Aujourd'hui nous sommes assis à l'ombre d'un bel arbre, un grand fromager, dans les jardins du Centre Culturel Français. C'est sur un panneau d'affichage du Centre que j'ai vu pour la première fois votre nom. Quel rôle le Centre a-t-il joué dans votre itinéraire littéraire jusqu'à présent ?
Le Centre Culturel Français que je fréquente assidûment depuis mon retour au Sénégal a été mon allié dans le développement de ma carrière littéraire ici, même si cette carrière n'en n'est qu'à ses balbutiements. Bien que je publie depuis assez longtemps, (j'avais publié des nouvelles dans des revues en France) c'est sur les panneaux d'affichage que j'ai eu vent de l'édition 1999 du Prix du Jeune Ecrivain, concours français annuel de nouvelles pour les moins de 25 ans. Je connaissais l'existence de ce prix mais par négligence ou par manque d'assurance, je n'avais jamais rien envoyé. L'année dernière était la limite pour moi du point de vue âge. Alors, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai été non seulement primée mais j'ai aussi été invitée avec les lauréats du monde entier (Chine, Canada, Tunisie, Serbie, France, Chili) et j'ai rencontré des écrivains comme Henri Lopes, Eduardo Manet qui faisaient partie du jury. J'étais d'autant plus fière qu'en 15 ans d'existence du Prix, c'était la première fois que le Sénégal était lauréat.
Le Centre Culturel a joué encore cette fois un rôle important car il s'est fait le relais de la presse locale en affichant quelques articles sur les panneaux d'affichage. Parallèlement à cela, le conseiller culturel de l'Ambassade du Canada m'a écrit pour me féliciter et pour me proposer de participer à un concours similaire organisé par Radio Canada. Quelques mois plus tard, j'étais à nouveau primée par le Canada. Donc après plusieurs années de latence, il y a eu comme une étincelle et tout s'est embrasé. Aujourd'hui, sans être un grand écrivain incontournable au Sénégal, je suis invitée dans de nombreuses manifestations culturelles, je donne des conférences, je participe à des concours etc. A tel point que vers la fin de l'année 1999, j'étais comme prise dans un tourbillon.
Toutefois, je continue toujours à fréquenter régulièrement le CCF, pour la beauté du site (un poumon de verdure en plein centre de Dakar), pour sa bibliothèque et pour ses spectacles.
3 - A votre avis, existe-t-il aujourd'hui une jeunesse sénégalaise qui s'intéresse à la lecture et à l'écriture ? Fréquentez-vous d'autres écrivains à Dakar ?
Les jeunes ne s'intéressent pas beaucoup à la littérature au Sénégal. Ceci pour des raisons matérielles mais aussi culturelles. Matérielles parce que le livre demeure cher pour les petites bourses, même si les éditeurs locaux font un grand effort au niveau du prix, et parce qu'il existe peu de bibliothèques publiques au Sénégal et celles-ci sont mal fournies. Culturelles parce que nous sommes un pays de tradition orale, les jeunes aiment bien se retrouver autour d'une tasse de thé pour discuter entre frères et sœurs ou entre amis. Le Sénégalais n'est pas un solitaire mais une personne très sociable, qui a besoin d'être entourée, d'écouter de la musique et d'échanger des points de vue. La télévision a également été la source de mutations non négligeables en ce qu'elle offre un accès plus immédiat et plus « mâché » à l'information et aux divertissements.
Mon intérêt pour l'écriture m'a cependant fait rencontrer d'autres jeunes écrivains sénégalais, essentiellement lors de conférences ou de manifestations culturelles et on a ainsi pu développer une complicité et une amitié autour de nos lectures et de nos expériences littéraires. Nous sommes ainsi une poignée de jeunes écrivains de moins de 30 ans considérés ici comme la relève et encouragés avec bienveillance par les écrivains sénégalais déjà établis.
4 - D'où vient votre désir d'écrire ?
Je ne saurais pas répondre très précisément à cette question. En réalité, je gribouille depuis mon plus jeune âge (7-8 ans) des poèmes ou des petites histoires. Je réalise avec le recul que même dans ma tête, je me racontais des histoires imaginaires et même si je ne les mettais pas sur papier, ceci avait pour effet de développer mon imagination et ma créativité. Parallèlement à cela, j'avais un grand intérêt et une facilité pour le français. J'étais plutôt brillante à l'école et j'aimais beaucoup lire. Je faisais d'ailleurs des « raids » dans la bibliothèque de mes parents et y dénichais beaucoup de trésors. C'est ainsi que je lisais des livres qui n'étaient pas tellement de mon âge.
Je n'étais pas d'un naturel solitaire, loin s'en faut. Mais comme je n'avais qu'un frère, qui de plus est très calme et toujours plongé dans ses revues de football, je tuais le temps pendant les vacances en lisant des collections entières de Camus ou de Balzac. Les choses se sont mises en place petit à petit. J'ai eu cette envie de faire carrière le jour où mon frère a déniché une feuille où j'avais gribouillé une histoire et il est allé claironner partout que je recopiais des livres pour faire croire que j'étais écrivain. Je n'ai pas cherché à le détromper. Intérieurement j'étais flattée qu'on puisse se méprendre. C'est la que j'ai décidé de devenir écrivain. J'avais 12 ans.
Ce n'est cependant que depuis quelque cinq ans que je prends au sérieux cette vocation. J'ai investi dans un ordinateur et m'impose une certaine discipline, malgré mon travail et ma vie de famille.
5 - Vous avez été mannequin pendant quelque temps à Paris. Est-ce que c'était une carrière qui vous plaisait ?
On ne peut pas parler à proprement dire de carrière, dans la mesure où je faisais du mannequinat en dilettante parallèlement à mes études. Comme toutes les adolescentes sous tous les Cieux, j'étais très réceptive aux diktats des images de modes déversés par les magazines occidentaux. On avait toutes envie d'être jolies, minces, habillées à la mode. Moi j'avais l'avantage d'être très grande (plus d' 1m 80) et assez jolie. Donc, j'étais au programme de tous les défilés et concours de beauté de mon lycée et je m'amusais comme une folle.
Ma première expérience de mannequin a eu lieu quand j'avais 16 ans. J'étais en vacances à Paris avec ma mère et une dame m'a abordée en me disant que son mari était photographe de mode et qu'il cherchait un modèle Noir, dans mon style. Les essais ont été concluants et on a travaillé ensemble tout l'été. Compte tenu de mon jeune âge, je n'allais jamais aux séances de photos seule. Ma mère a été formidable. Malgré ses inquiétudes de parent, elle m'a laissé vivre mon rêve d'adolescente.
L'été suivant, j'étais en vacances à New York chez une tante qui est styliste. Encore une fois, c'est avec grand plaisir que j'ai posé pour son catalogue. Par la suite, une fois étudiante en France, j'ai participé à plusieurs casting qui ont débouché sur des défilés ou des photos de mode. Le point d'orgue a été la couverture du principal magazine féminin noir, édité à Paris. Peu après, je suis rentrée à Dakar et depuis, je mène une vie beaucoup plus rangée : je travaille, je suis mariée et j'ai une petite fille.
J'ai cependant beaucoup apprécié cet intermède de ma vie, même si les rapports entre filles étaient parfois un peu hypocrites (tu es plus belle que moi, je suis plus mince que toi, etc.) Mais j'ai fait des rencontres enrichissantes et j'ai beaucoup gagné en assurance. C'était également un moyen pour moi de me faire un peu d'argent de poche.
6 - Encore au début de votre carrière littéraire, vous semblez vous pencher davantage sur la nouvelle. Quelle préférence éprouvez-vous pour le récit court ?
Je n'ai pas vraiment choisi de style littéraire, même si, comme vous le constatez, j'ai une prédilection pour la nouvelle. En réalité, j'essaie d'éviter de me cantonner à un style particulier. J'ai d'ailleurs commencé par la poésie et j'écris toujours des poèmes. Seulement ce sont des choses parfois très personnelles que je ne fais pas lire à tout le monde.
La nouvelle m'a permis d'affûter progressivement mes armes qui sont la sémantique, le vocabulaire, le style, la mise en scène des personnages etc. De plus, elle correspond mieux à mon mode de vie actuel et est pour moi un tremplin vers des œuvres qui demandent davantage de temps et d'investissement personnel. En effet, je mène ma vie tambour battant et j'ai peu de temps pour me concentrer. Or écrire, surtout des romans demande beaucoup de calme et un certain fil conducteur qu'il faut garder. Ma tête foisonne d'idées, de personnages, de situations inspirées du vécu ou de l'imaginaire. Il m'est donc plus facile d'écrire des histoires courtes que je peux boucler en quelques jours. Cet intérêt pour la nouvelle se retrouve également dans mes lectures car cela correspond à mon rythme de vie et à mon emploi du temps
7 - Dans vos nouvelles, vous présentez d'habitude des personnages féminins. Pourquoi avez-vous fait autrement dans « Combinaison gagnante » ? Pensez-vous qu'il existe des domaines réservés aux hommes ?
Le choix des personnages féminins n'est pas délibéré. C'est peut-être un monde qui me « parle » davantage par le fait que je suis une femme ou alors parce que, sans être une féministe militante (je pars du principe que je n'ai rien à revendiquer pour la bonne raison que je ne me sens nullement inférieure), j'ai le désir inconscient de redonner à la femme sa place dans la société sénégalaise. Cependant, vous constatez comme moi que dans « Combinaison gagnante », je mets en scène deux hommes partagés entre une amitié inconditionnelle et les sirènes du lucre sans qu'on ne sache qui de l'amitié ou de l'argent aura le dernier mot. On me reproche souvent de donner le mauvais rôle aux hommes et le beau rôle aux femmes. Peut-être que je veux juste rétablir un certain équilibre et au passage j'en profite pour régler quelques comptes (rires).
En réalité, nous sommes dans un monde où hommes et femmes doivent se battre sur le même terrain, notamment professionnel, et avec les mêmes armes. Je suis moi-même entourée d'hommes dans ma profession (informatique, nouvelles technologies de l'information) et je pense qu'à qualifications et compétences égales, la différence se fait au niveau de la personnalité de la femme et de la certitude qu'on peut être aussi brillantes que les hommes. Contrairement à eux, nous avons tout à prouver !
8 - On trouve un ton quelque peu pessimiste dans certaines de vos nouvelles. D'où provient-il ?
Il est vrai que c'est un reproche récurrent qu'on me fait. Encore une fois, ce n'est pas vraiment conscient. La plupart de mes histoires commencent par une phrase griffonnée sur un bout de papier sans que j'en connaisse la fin. L'histoire se met en place progressivement et avec une relative autonomie. Mon stylo écrit ou mes doigts tapent sur le clavier mais je ne sais pas qui dicte. Cependant, même si j'admets que le style est plutôt noir, en revanche, il y a toujours une ouverture à la fin.
Je suis pourtant d'un naturel joyeux et enjoué. La vie jusqu'à aujourd'hui m'a plutôt souri et je suis entourée de personnes formidables. Partant de cela, peut-être que je n'éprouve pas le besoin de prendre ma plume pour dire que le ciel est bleu et que le soleil brille. Peut-être suis-je aussi inspirée par l'état social du pays, propre à tout pays en développement. Malgré la volonté et le travail acharné de nos dirigeants et malgré les aides internationales, la pauvreté reste endémique et ni le sol ni le sous-sol sénégalais ne disposent de richesses. On a cependant une jeunesse optimiste et pleine de bonne volonté ainsi que de réelles perspectives pour sortir du marasme économique.
9 - Tout à l'heure, vous avez dit que la plupart de vos histoires commencent par une phrase griffonnée sur un bout de papier et que vous ignorez la fin du récit. Est-ce que votre deuxième nouvelle dans ce recueil, « Retour d'un si long exil », a suivi ce même processus ?
Comme vous pouvez vous en douter à la lecture de cette nouvelle, ce récit est partiellement autobiographique. Les faits sont vrais et cette envie de les relater m'est venue après avoir vécu ces événements: le retour, après quelques années hors du Sénégal, dans ce petit village de pêcheurs tout près de Dakar que je fréquente depuis l'âge de six ans, le bras de mer (lui s'est asséché, les baobabs déracinés, les amies d'enfance parties à la ville, jusqu'à la petite Marie). Et effectivement, je dormais ce soir-là au village quand, au petit matin, des cris et des pleurs m'ont réveillée et l'histoire s'est mise à cheminer dans ma tête. Il s'agissait bien d'un deuil, cette nuit-là, mais fort heureusement, même si la personne appartenait à la même concession, il ne s'agissait pas du mari de mon amie. Le matin, sur la plage, j'ai pris mon stylo et une feuille blanche et l'histoire et les émotions (bien réelles) ont fait le reste.
Tout ceci pose la question de la fiction par rapport à la réalité, ces deux notions dont la frontière est bien fragile. Il n'y a pas de séparation franche, dans la mesure où le vécu est souvent agrémenté d'éléments romanesques (autrement, il s'agirait d'un documentaire). Quant à la fiction, elle est sans cesse influencée par des faits, propres ou vécus par autrui, que nous avons emmagasinés un jour et que notre inconscient libère et restitue sous une forme pseudo-imaginaire ; notre passé (y compris notre inconscient collectif), nos discussions avec autrui et nos lectures nous influencent constamment. En conclusion, je pense que, à part pour les témoignages, cette distinction importe peu. Ce que nous demandent les lecteurs, à nous écrivains, ce qui les grise réellement, c'est de pouvoir lire ou pleurer (parfois les deux à la fois) grâce à des personnages de papier.
10 - Qu'écrivez-vous en ce moment ?
Comme je l'ai dit plus haut, j'ai beaucoup travaillé pour des concours, essentiellement de nouvelles. J'ai fait également et parallèlement un travail de collecte et de réécriture de toutes mes nouvelles en vue de la publication d'un recueil qui sortira probablement dans le courant de l'année, tout cela pour faire le ménage dans ma tête et dans mes paperasses et préparer ainsi le terrain à une œuvre de plus longue haleine. Pour ne rien vous cacher, il s'agit d'un roman que j'ai commencé depuis... huit ans. Il est bien avancé mais il faudrait réellement que je me prenne en main pour le terminer. De quoi parle-t-il ? Vous le découvrirez sur les rayons des librairies, j'espère dans un an. Je n'en dirai pas plus par superstition...
James GAASCH |
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 20 August 2003
https://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/int_gaasch1.html