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Mariama NDOYE
Entretien avec James GAASCH 2000.
1 - Depuis quand habitez-vous en Côte d'Ivoire ? Est-ce que le Sénégal vous manque quelquefois ? En quoi se distinguent les capitales de ces deux pays ? Au niveau ethnique, culturel et linguistique ? Eprouvez-vous parfois le désir ou le besoin de vous exprimer en wolof ?
J'habite en Côte d'Ivoire depuis septembre 1986. Le devoir m'y appelait. J'ai eu un choix cornélien à faire entre carrière et famille. Aujourd'hui encore je le remets en question. Donc mon pays, le Sénégal, me manque en permanence ; il est une partie de moi-même. Je retourne aussi souvent que possible me ressourcer, lors des cérémonies familiales, des vacances scolaires, de la Foire du Livre. J'ai une vie intérieure très intense qui pallie les divers manques.
Dakar et Abidjan sont toutes deux ouest-africaines, bordées par l'Atlantique. Le climat est plus humide à Abidjan, la ville je crois plus étendue, la population plus nombreuse et plus diversifiée. La vie culturelle est plus active au Sénégal, la population plus ouverte aux étrangers.
Les non-scolarisés parlent le français Moussa à Abidjan. À Dakar on parle un français plus classique ou le wolof (ethnie et langue majoritaires). Je n'éprouve pas vraiment le désir ni le besoin de m'exprimer en wolof. Du reste il y a une petite colonie sénégalaise issue d'une génération d'immigrés d'avant l'Indépendance qui parle encore la langue d'origine. Personnellement, je parle plus souvent le français en famille. Mon père a voulu qu'il en soit ainsi dans mon jeune âge pour faciliter mon apprentissage du français. Le pli est resté. Je parle wolof avec ceux qui ne savent pas s'exprimer en français. J'ai appris le wolof à mes enfants parce que la véritable culture se transmet par le biais de la langue. Dans mes écrits j'aime noter en wolof, avant de les traduire, les mots savoureux ou les belles images.
2 - Comment est votre vie de tous les jours à Abidjan? Après avoir exercé plusieurs professions, dédiez-vous maintenant plus de temps à l'écriture ?
Ma vie à Abidjan ressemble à ma vie à Dakar. Je m'occupe de ma petite famille, de mon travail. J'ai moins d'amis à Abidjan qu'à Dakar donc plus de temps à moi. Mes deux premiers enfants Thianar-Rodolphe et Sokhna-Awa ont grandi et résident à l'étranger ; la dernière Safiétou a treize ans (en l'an 2000) et est assez autonome de tempérament. Je lis, je vais au spectacle, j'écoute de la musique. J'écris quand je ne travaille pas à l'extérieur (cours, conférences, dédicaces, etc.).
J'ai exercé durant huit ans la fonction de conservateur de musée à Dakar. Une fois à Abidjan j'ai enseigné le français et le latin dans un lycée de jeunes filles, puis le français comme seconde langue à des cadres anglophones de la Banque africaine de développement. J'ai tenu un magasin de mode pour renouer avec une ancienne passion qui m'avait valu quelques pas dans le mannequinat (avec feu Rose Thiam de Tara-boutique).
Je n'écris pas tous les jours. Quand je suis déprimée ou fatiguée, je n'écris pas. J'ai écrit en quelques mois mon premier roman Sur des chemins pavoisés. J'attendais alors mon fils. J'écris à la main, j'ai du mal alors à me détacher de la feuille blanche. Je peux écrire plusieurs heures d'affilée sans voir mon inspiration tarir. Seul le torticolis (car je penche légèrement la tête quand je me concentre) ou la crampe de mes poignets (plutôt fragiles) m'arrêtent. Je ne tape mes textes à l'ordinateur qu'après avoir rédigé plusieurs nouvelles, quelques chapitres, parfois tout le livre (livres d'enfants par exemple). J'écris partout où règne le calme complet. Seuls les bruits naturels comme le chant des oiseaux ne me dérangent pas. Peu importent le lieu, l'heure ou le confort de l'endroit. Il m'est plus difficile d'écrire sur commande.
3 - En lisant vos nouvelles, le lecteur a souvent l'impression que vos parents, vos ancêtres, et votre ville natale, Rufisque, ont eu une influence déterminante sur vous. Est-ce aussi une observation valable pour votre roman Soukey qui vient de paraître ?
Dans mes écrits je parle de ce que j'aime, de ceux que j'aime, de ce qui m'entoure, m'intrigue, me heurte, me hante. Quand j'évoque des êtres réels, j'ai l'honnêteté de les nommer. Mais la fiction ressemble tant à la réalité ! Ce que vivent les gens dans ma société, j'en suis le témoin direct, indirect ou lointain par les média. Est-ce de la fiction ou de la réalité ?
C'est l'émotion qui me fait prendre la plume, or ma famille, mes amis et ma ville m'émeuvent au plus haut point. Mes nouvelles ont des titres qui dévoilent l'inspiration qui est à l'origine de leur création. Ainsi dans Parfums d'enfance, « Papa » c'est le mien, « La Dame de Mantoum » évoque le souvenir d'un être cher, M. Tissières, « Retrouvailles » fait revivre mes camarades de classes, etc.
La personne Soukey est née de mon imagination. Il existe des centaines de variantes de Soukey au Sénégal. Elle vit dans une ville que je connais et qui, dans mon paradis d'enfance, est belle. Sa famille est à l'image de nombreuses familles sénégalaises avec ses grandeurs et ses faiblesses. Bien sûr, je prête mon humour, ma sensibilité à mes personnages. Ce sont un peu mes enfants.
Mais j'évoque aussi dans mes écrits: la France que j'ai connue à l'âge de six ans on la voit différemment à dix-huit ans ! (Sur des chemins pavoisés); le Cameroun (Soukey); l'Inde (Comme le bon pain, à paraître). Autres thèmes favoris : moi (De vous à moi); l'enfance (Parfums d'enfance); la littérature orale et la littérature enfantine (La légende de Rufisque, Le sceptre de justice); les faits sociaux : la polygamie (Comme le bon pain), la gémelléité (Sur des chemins pavoisés).
4 - Croyez-vous que le roman et la nouvelle proviennent de la même source créatrice ? Devrions-nous considérer l'acte d'écrire et l'acte de lire semblables pour les deux genres ?
Mes nouvelles jaillissent spontanément dès lors que je pense à une histoire ou à une scène. Le roman est fait de plusieurs jaillissements plus ou moins espacés dans le temps. C'est la seule différence à mon niveau. Je pense donc qu'elles proviennent de la même source créatrice.
L'acte d'écrire l'un ou l'autre est identique, le travail de finition aussi. La différence pour moi réside dans le mûrissement. Il faut un canevas plus élaboré pour écrire un roman à cause de sa dimension (on s'éloigne souvent du canevas d'origine) et un temps de conception plus long.
Quant à l'acte de lire les romans, les nouvelles des autres, je m'abandonne à la forte attraction que tout ce qui est écrit exerce sur moi. Même devant un livre rédigé dans une langue étrangère comme l'arabe, je m'arrête, j'ai une tentation, la curiosité de savoir ce que le livre contient ; il est pour moi une promesse de bonheur. Je suis frustrée de ne pouvoir lire dans beaucoup de langues et de n'avoir pas assez de temps pour tout lire. J'adore les librairies, les bibliothèques bien entretenues. Un jour, j'en créerai une, ne serait-ce qu'avec mes propres ouvrages qui, depuis l'école secondaire, s'accumulent. Je partagerai alors le plaisir de lire avec d'autres.
5 - Existe-t-il aussi en Afrique une certaine tendance à associer la nouvelle à l'oralité du conte, à votre avis ?
La nouvelle est moins africaine que le conte. Le roman, le théâtre et le conte sont plus connus en Afrique que la nouvelle. Personnellement, j'aime relater les faits, mais je ne pense pas qu'il y ait un lien direct entre la nouvelle et l'oralité de ma culture traditionnelle. Si je contais oralement les histoires contenues dans mes nouvelles, elles auraient certainement moins d'attrait. Les meilleurs conteurs pourraient être de piètres écrivains même si Birago Diop et Léopold Sédar Senghor sont des conteurs merveilleux (par écrit). Pour bien raconter il faut de l'assurance, de la présence, des talents de comédien, atouts que tout le monde ne possède pas. Pour être nouvelliste ou conteur il suffit de connaître de bonnes histoires et d'avoir une bonne plume.
6 - Dans « En route pour l'an 2000 », nouvelle rédigée pour cette anthologie, s'agit-il d'une scène humoristique ? Cette scène révèle-t-elle aussi une couche sociale réduite au désespoir ?
« En route pour l'an 2000 » est une scène très sérieuse en ce qu'elle révèle la situation précaire de certains Sénégalais. Faut-il en rire ou en pleurer? Je présente la situation de telle sorte que le lecteur en rit mais dans le car rapide les gens ne rient pas. Leur cœur pleure. Dans toutes les grandes villes du monde, il y a des laissés pour compte. J'ai vu Paris, New-York, Bombay. Il y a les nantis, les moins nantis et ceux qui tirent le diable par la queue. Les derniers s'accrochent au rêve d'un lendemain meilleur. Ils se fixent, « on » leur fixe des échéances (l'an 2000, par exemple) ; quand ces échéances arrivent et qu'il n'y a aucun changement, c'est la désillusion. Notons cependant que dans le dénuement, la solidarité et la générosité demeurent. Par exemple, un inconnu règle le ticket de transport d'un jeune homme. C'est courant chez nous. C'est notre trésor : partager le peu que l'on a.
D'un autre côté en Afrique, au Sénégal en tout cas, le désespoir se cache. On ne l'affiche pas. On l'abrite derrière la foi, l'entraide. Les individus dépressifs sont mis à l'abri du regard des autres, le suicide est mal vu. La démission est lâche, coupable. C'est ce qui explique la gêne des passagers pressés de quitter le car devant tout ce déballage indécent (au point de vue culturel) de misère sociale.
7- Êtes-vous en train d'écrire une nouvelle ou un roman en ce moment ?
Il est de mauvais ton pour une léboue bon teint de parler de ses projets d'avenir par crainte du mauvais œil. Les méchants qui seraient informés de ces dits projets pourraient les contrecarrer. Mais, persuadée qu'Allah est tout puissant, je vous révélerai que, après avoir consacré une quinzaine d'années presqu'exclusivement à mes proches, avec un résultat grâce à Dieu satisfaisant, je voudrais désormais me consacrer un peu à moi et à mon pays ; parfaire mon rêve d'enfance d'être non seulement une bonne épouse, une bonne mère mais aussi une bonne citoyenne, de celles dont on retient le nom. L'écriture m'y aide. Le monde de la culture est vaste, je compte l'explorer à l'avenir.
James GAASCH |
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 20 August 2003
https://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/int_gaasch4.html