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Khady SYLLA
Entretien avec James GAASCH 2000.
1 - Comment était votre enfance à Dakar ? Quelle langue parliez-vous chez vous ? Écriviez-vous lorsque vous étiez jeune ?
Mon enfance à Dakar a été une enfance heureuse. J'ai passé mes premières années à la Gueule Tapée, un quartier proche de la plage de Soumbédioune. On parlait surtout le wolof et un peu le français à la maison. Pour moi, l'enfance c'est la mer et le soleil. J'ai commencé à écrire tard, vers l'âge de quinze ans. Je tenais une sorte de journal intime dans lequel je fustigeais mon entourage, accusant les gens qui m'entouraient de mille et un défauts. Cela a fini dans un fourneau. J'en ai fait une belle flambée. Ce n'était pas très intéressant.
2 - Votre vie d'aujourd'hui, partagée entre Paris et Dakar, a-t-elle quelque chose de commun avec celle de votre enfance ou de votre adolescence ? Cette errance entre deux villes crée-t-elle en quelque sorte une double vie ? Quelle influence a-t-elle eue sur votre art ?
J'ai passé une partie de mon adolescence perdue dans les livres, m'échappant ainsi chaque fois que je pouvais le faire. Ce n'est pas pour rien que J. L. Borges, l'écrivain argentin, est mon maître, lui qui est né et a grandi dans une bibliothèque, lui qui s'imagine le paradis sous la forme d'une grande bibliothèque. J'étais déjà en voyage entre plusieurs mondes à l'instar du héros de ma nouvelle (non encore publiée) « Le Départ » qui, depuis sa chambre, se projette dans un monde où il rencontre un personnage qui n'est autre que Borges. Je dis souvent que je fais le « Paris-Dakar ». Cela a été capital. Car tout en étant une immigrée, je n'ai pas perdu le lien avec la source, le pays natal. Ce qui fait que mon art est imprégné par ce qui se passe ici au Sénégal. Quelque part je suis partie en restant.
3 - Lisez-vous d'autres écrivains sénégalais ou africains ?
Je lis d'autres auteurs africains. Je viens de terminer un livre de Russel Banks Continents à la dérive. J'aime Ben Okri avec son roman Un amour dangereux, Nurudin Farah et son roman Dons, B. Boris Diop avec son livre Le Cavalier et son ombre.
4 - Vous avez publié votre premier roman chez L'Harmattan quand vous aviez 27 ans. Avez-vous réussi à placer vos autres écrits aussi facilement ?
J'ai publié Le Jeu de la mer en 1992. Depuis lors je ne me suis pas vraiment souciée de la publication de mes autres œuvres. Mais c'est un souci qui renaît.
5 - Est-ce qu'il a été évident pour vous de devenir réalisatrice de cinéma ? Y a-t-il une place pour les films sénégalais en Europe ? En Afrique ?
J'ai réussi difficilement à faire du cinéma. Il faut rencontrer quelqu'un qui vous fasse confiance pour un premier film. Je pense qu'il y a une place pour le cinéma africain en Afrique et en Europe et même ailleurs, mais qu'on ne la lui donne pas. C'est un cinéma « laissé pour compte ».
6 - Ecrire et filmer. Quelle distinction faites-vous entre ces deux activités ? Les deux verbes prennent-ils contact de la même façon avec la même réalité ? Comment vivez-vous en tant qu'écrivain-cinéaste entre ces deux imaginaires ?
L'écriture est une activité solitaire, le cinéma une affaire d'équipe. Il y a énormément de choses que l'on peut exprimer par l'écriture et qui ne passent pas à l'image. Le contraire est également vrai. L'écriture est plus proche de l'homme, de son intériorité, et le cinéma de sa vie apparente. Ce sont deux manières différentes d'appréhender la réalité.
7 - Le décès d'une grand-mère est l'événement central de votre nouvelle « L'Univers ». Cette histoire racontée à la première personne se rattache-t-elle aussi à votre propre univers ?
Cette nouvelle est entièrement autobiographique. C'est ma première nouvelle. Je l'ai écrite en apprenant le décès de ma grand-mère. Je revois encore ce moment où je me suis installée à ma table, totalement impuissante devant sa mort mais tentant de sauver quelque chose d'elle.
8- C'est surtout par son style suggestif et l'évocation du moment éphémère que votre nouvelle frappe. Pourriez-vous parler de la manière dont vous envisagez ce genre ?
J'envisage tous les genres de l'art comme une tentative de s'approcher de la beauté et surtout du vrai. Le genre de la nouvelle est intégré dans ma compréhension générale de l'art. Le beau étant ce qui est stylistiquement et dramatiquement parfait. En fait, c'est un idéal dont on s'approche sans jamais pouvoir l'atteindre. On y arrive plus ou moins.
9 - Votre deuxième nouvelle dans ce recueil, « Le Labyrinthe », présente-t-elle un personnage sorti du quartier dakarois La Gueule Tapée ? Et les personnages de votre roman Le Jeu de la mer habitent-ils Dakar ?
Les personnages du Jeu de la mer sortent de l'eau. Ce sont deux filles de l'eau. Réfugiées dans cette vieille maison coloniale sur le rivage, elles viennent nous rappeler la frontière ténue entre le réel et l'imaginaire. « Le Labyrinthe » présente une personne de Fass Paillote. C'est une quartier dakarois auquel on a mis le feu pour faire déguerpir les habitants trop pauvres vers les quartiers périphériques.
10 - Et vos projets d'avenir ? Allez-vous continuer à diviser votre attention entre la littérature et le cinéma ?
J'ai plusieurs projets en cours, plus ou moins avancés. Ces projets concernent des livres et des films. Ceci dit, c'est un combat quotidien. Un exercice d'équilibriste. J'espère pouvoir continuer entre la littérature et le cinéma. Je sens de plus en plus que je m'éloigne des envolées lyriques comme dans Le Jeu de la mer pour me rapprocher davantage de la vie réelle de mes personnages. Un deuxième roman, Les Mains de couleur, va paraître dans le courant de cette année chez L'Harmattan. Je vais bientôt à Paris chercher une copie de mon dernier film Colobane-Express pour en faire une première à Dakar, au printemps 2000.
James GAASCH |
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 15 August 2003
https://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/int_gaasch6.html