LA
|
Aminata MAÏGA KA
Entretien avec James GAASCH 2000.
1 - Pourriez-vous parler de vous-même, de vos origines, de votre famille et de votre vie actuelle ?
Je suis née à Saint-Louis du Sénégal, l'ancienne capitale de mon pays, issue d'un milieu bourgeois, puisque mon père était médecin et ma mère analphabète. Je suis le produit d'un métissage culturel et biologique qui, selon notre premier président-poète Léopold Sédar Senghor, sera l'avenir de l'humanité.
En effet, ma mère est une princesse peulhe de Guidimaka, région située entre le Mali et la Mauritanie. Mon père qui est de race Songhaï, celle des seigneurs du désert de Tombouctou, a été affecté pendant la colonisation française en Mauritanie et au Sénégal.
C'est dans ce pays qu'il a choisi de vivre et de mourir. Homme d'ouverture, de grande culture, il m'a poussée dans mes études. Lui et ma mère m'ont entourée de la plus tendre affection, à l'abri de tout besoin.
J'ai raflé, jusqu'en classe de Terminale, tous les prix, notamment ceux de français, de sciences naturelles, de philosophie et d'histoire-géographie. J'ai fait mes études primaires au Sénégal, une partie de mes études secondaires dans mon pays et au Lycée des Eaux-Claires de Grenoble, en France. Lauréate du concours de philosophie en 1963, j'ai séjourné dans un camp de vacances à Anglet, près de Biarritz en France, avec d'autres camarades lauréats de France et d'Afrique.
Inscrite à l'Université de Dakar, que j'ai préférée à celle de la métropole, j'ai pu obtenir facilement ma Maîtrise d'Anglais comprenant entre autre un certificat de Littérature et de Civilisation anglaise et américaine.
J'embrassai alors le métier de professeur d'anglais au Lycée Malick Sy de Thiès en 1967. L'année suivante, je me rendis en Grande-Bretagne, à Thurrock dans l'Essex, pour un stage d'un an en vue d'une imprégnation linguistique. Retournée dans mon ancien établissement, je fus affectée en 1971 au Lycée Van Vollenhoven de Dakar (actuel Lycée Lamine Gueye, du nom du premier premier président de l'Assemblée Nationale du Sénégal).
De 1965 à 1971, je fus mariée à un ingénieur avec lequel j'eus trois enfants. En 1976, je fus sélectionnée par le Ministère de l'Éducation Nationale pour recevoir une formation de « teacher's training course » à San Francisco State University.
Active au sein des mouvements de femmes, je militai dès 1974 au Soroptimist International Club de Thiès (ville située à 70 km de Dakar), en même temps que j'exerçai les fonctions de Secrétaire à la Condition Féminine au sein de la Fédération des Associations Féminines du Sénégal (FAFS). En 1992, par la grâce du Président de la République, Abdou Diouf, qui appréciait le travail que j'abattais au sein du Parti Socialiste et dans le pays, je fus nommée Conseiller Cuturel de l'Ambassade du Sénégal en Italie.
Pendant cette période, j'ai participé à la réflexion, à l'élaboration et à la mise en œuvre de tous les grands projets nationaux, ainsi qu'aux grands événements survenus au Sénégal.
Vice-Président de l'Association des Ecrivains du Sénégal, j'ai publié plusieurs articles de presses sur l'œuvre de Mariarna Bâ et d'Aminata Sow Fall, et d'autres sur la politique, la culture et l'économie sénégalaises.
Admise à faire valoir mes droits à la retraite, je suis rentrée au Sénégal en 1995 et demeure très impliquée dans la vie publique de mon pays.
Je dois ajouter qu'en 1991, je me suis rendue dans l'Etat d'Iowa pour participer à « The International Writing Program » (IWP), destiné aux écrivains du monde entier.
Enfin, en 1971, je divorçai de mon premier mari pour épouser en 1973 Abdou Anta Ka, journaliste et écrivain. Homme de grande culture, de bonté, d'ouverture et de générosité, il fut dramaturge, nouvelliste et produisit également des livres pour enfants. Il est décédé le 21 février 1999. Ce fut le père du théâtre sénégalais moderne, ainsi que celui de la presse d'analyse et de critique dans notre pays. Trois enfants naquirent de cette union, tous portant des noms d'écrivains amis, de renommée mondiale (Senghor, Mariama Bâ et Birago Diop).
2 - Vous avez longtemps fréquenté des milieux littéraires. Quels auteurs avez-vous connus ? Ont-ils eu une influence sur vos écrits, sur vos engagements personnels ?
Comme je viens de vous le dire, mon mari Abdou Anta Ka était un homme ouvert, un grand homme de culture, sensible à l'amitié et à la fraternisation entre tous les peuples. Notre maison à Thiès et à Dakar fut le lieu de convergence de tous les artistes. C'est ainsi que j'ai eu la chance de rencontrer et de nouer amitié avec des peintres tels que Pape Ibra Tall, Iba Ndiaye, Ibou Diouf, Ansoumana Diedhiou, Mamadou Wade, Bocar Diongue, Alpha Waly Diallo pour ne citer que ceux-là.
Dans le domaine du cinéma, nous étions des amis à Ousmane Sembène, Djibril Diop Mambéty, Paulin Soumanou Vieyra avec lequel mon mari a eu à collaborer pour l'écriture des dialogues de son film Résidence surveillée. J'ai eu à rencontrer également Souleymane Cissé et Cheikhou Omar Cissokho du Mali.
Quant aux écrivains, deux pages ne suffiraient pas pour vous citer tous ceux que j'ai rencontrés et qui demeurent mes amis, tant au Sénégal qu'ailleurs.
Mais celle qui était une véritable amie et avec laquelle j'avais beaucoup d'affinités fut incontestablement Mariama Bâ, « La Grande Dame » des lettres sénégalaises, l'auteur du best-seller Une si longue lettre dont elle m'avait remis le manuscrit pour lecture et correction en 1978. Femme de cœur, de vertu et de courage, elle alliait l'élégance du port vestimentaire à la bonté et à la générosité. Ma dernière fille, née quelques jours après sa mort le 17 août 1981, portait son nom. Sur son lit d'hôpital, Mariama Bâ, m'exhortait à saisir les Nouvelles Editions Africaines pour qu'elles publient avant sa mort, car elle se savait condamnée, son roman Un Chant écarlate.
Sa famille et la mienne sont devenues une et indivisible. Pour terminer, je citerai Léopold Sédar Senghor dont mon fils Amadou Sédar porte le nom et Birago Diop, le parrain de ma fille Djénaba Birago, actuellement étudiante aux États-Unis. Ces deux sommités du monde universel des lettres tenaient mon mari et moi-même en haute estime.
Je crois que lorsqu'on s'adonne à la lecture, qu'on le veuille ou non, de façon insidieuse et inconsciente, on subit le charme et l'influence de nos auteurs préférés.
Adepte de la justice sociale et de l'équité, très sensible aux injustices, sévices et violences faites aux femmes, j'ai été l'une des pionnières pour l'émancipation et la promotion de la femme sénégalaise. Ma vie durant, je n'ai cessé de mener une lutte acharnée et de m'impliquer personnellement pour l'égalité des chances entre l'homme et la femme et le changement des mentalités, afin de faire jouer à la femme sénégalaise, le rôle qui lui revient de plein droit dans notre société, en termes d'accès au pouvoir et au cœur des prises de décision.
3 - Êtes-vous d'avis que la situation de la femme sénégalaise a évolué pour le mieux depuis le décès de Mariama Bâ ? Y a-t-il eu pour reprendre vos paroles, « un changement des mentalités », un progrès sensible au Sénégal.
Mariama Bâ est décédée exactement le 17 août 1981. Cela fait 19 ans déjà. Dix-neuf ans au cours desquels, je peux affirmer, sans risque de me tromper, que la situation de la femme sénégalaise a notablement évolué. Elle a connu des avancées significatives, même si nous ne sommes pas entièrement satisfaites. Les femmes ont progressé en termes d'avancées économiques, politiques et socio-culturelles.
Au plan économique, les femmes sénégalaises sont des actrices du processus de développement. Tous les secteurs de la vie économique sont envahis par les femmes sauf les Forces Armées et la diplomatie où l'on ne compte qu'une femme ambassadeur. En milieu urbain et rural, les membres des Groupements de Promotion Féminine (GPF) brassent des millions de nos francs, avec la gestion des moulins à mil, des concasseurs de noix de palme, des champs collectifs, etc.
Cependant la femme sénégalaise n'a pas encore accès à la terre, aux intrants et au crédit bancaire, en raison des garanties qui lui sont demandées et dont la plupart du temps, elle n'est pas en possession. Les mentalités ont également beaucoup changé, car la femme a évolué et s'est beaucoup libérée de certaines pesanteurs socio-culturelles.
Au plan politique, les femmes représentent plus de 70% de l'électorat. Elles sont électrices et éligibles. En 1963, le Sénégal ne comptait qu'une femme député. A présent, elles sont au nombre de 19. En 1978, seule une femme avait été nommée ministre. Aujourd'hui, quatre femmes sont au gouvernement sur 32, et elles y occupent des postes-clés tels que le Ministère de la Décentralisation et de l'Aménagement du Territoire, le Ministère de la Justice, Garde des Sceaux, et celui Chargé de Relations avec les Institutions. Alors qu'auparavant, seuls des ministères à caractère social leur étaient confiés. Cependant, nous souhaiterions en obtenir plus, par rapport à nos compétences et à notre nombre, au sein des partis politiques et des syndicats.
Au plan socio-culturel, les femmes, qu'elles soient issues du milieu urbain ou rural, sont les grandes prêtresses de toutes les cérémonies familiales : naissance, baptême, mariage ou funérailles avec tous les rites qui s'y rattachent. Le Code de la Famille qui date de 1972 est désuet. Il est actuellement en révision, car des changements notables doivent y être apportés, notamment le changement de puissance paternelle en puissance parentale, car de plus en plus de femmes participent à la gestion du foyer et sont chefs de famille, même si elles ne sont pas encore reconnues comme telles par la loi.
4 - Dans la nouvelle « Le Transfert », vous dépeignez une scène villageoise. Les relations humaines demeurent-elles, de nos jours, aussi étroites dans les villages sénégalais que vous les représentez dans votre récit ?
L'esprit de solidarité et le sens des relations humaines sont l'alpha et l'oméga de la société sénégalaise. C'est l'une de nos plus prestigieuses richesses, et j'ai l'habitude de dire que si nous la perdons, nous allons tout droit à notre suicide social et culturel. Aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain, chaque fois qu'une famille fait face à des dépenses au cours d'une cérémonie, elle reçoit de la part de ses amis, parents et voisins, une assistance pécuniaire ou matérielle, substantielle.
Il est vrai que chez les citadins, en raison de la promiscuité, de la dégradation de la qualité de vie, de l'inflation galopante, du coût de la vie toujours plus élevé, la solidarité s'émousse, même si l'on se fait un point d'honneur, de faire un geste, de consentir un sacrifice pour aider l'autre.
5 - Dans quelle mesure le portrait de la famille dans votre deuxième nouvelle « De rêve en rêve » reflète-t-il les aspirations et les infortunes de toute famille sénégalaise de la même couche sociale ?
La famille sénégalaise aspire à de profonds changements, en vue d'entrer en possession d'un logement décent, d'avoir accès à l'eau potable, à une bonne éducation de base, à la baisse des denrées de première nécessité comme le riz, l'huile, le sucre et à des soins de santé. La dévaluation du franc CFA survenue en janvier 1994, la flambée des prix, due à l'augmentation du prix du baril du pétrole et du dollar, les politiques d'ajustement structurel qui ont fait fi de la persistance de la demande sociale, tout cela a contribué à l'accélération de la pauvreté au Sénégal. La baisse du pouvoir d'achat des populations a eu pour conséquence une paupérisation de la classe moyenne. A tel point, que je peux affirmer sans risque de me tromper que les 2/3 des Sénégalais vivent en-dessous du seuil de pauvreté. La famille sénégalaise d'antan plaçait son espoir et investissait sur l'éducation des enfants avec comme garantie une carrière au bout des efforts consentis pour sa progéniture. Ce n'est plus le cas actuellement, car le diplôme ne garantit pas forcément l'obtention d'un emploi rémunéré. La jeunesse est en proie à l'angoisse de lendemains incertains, et le désœuvrement, qu'elle essaie de tromper par des séances diurnes et nocturnes d'ingurgitation de thé maure, n'est pas près de prendre fin. Le souci majeur de tout Sénégalais est la DQ ou dépense quotidienne, c'est-à-dire l'argent quotidien nécessaire pour faire bouillir la marmite et assurer la survie de la famille. Alors qu'une minorité s'enrichit, la pauvreté est devenue une réalité difficile à contourner et à nier. Cela est dû, en grande partie, à l'échec des politiques agricoles et industrielles mises en œuvre. L'autosuffisance alimentaire, si elle était atteinte grâce à l'accès à la terre, à l'utilisation rationnelle d'intrants et de matériel agricole moderne, participerait à l'éradication de la pauvreté et de la famine. L'éducation de la jeune fille et l'alphabétisation des femmes adultes seraient les meilleurs garants de l'émancipation de la femme et du développement durable des populations. C'est à ce prix que notre pays le Sénégal, après des avancées démocratiques significatives, accéderait également au progrès et à ma prospérité, tels que les connaissent les pays développés.
6 - Quels projets avez-vous pour l'avenir ?
Pour l'instant, mes projets se résument à continuer à œuvrer pour le développement de mon pays et cela jusqu'à ce que mes forces me trahissent : dans les domaines politique, social et culturel. J'aimerais poursuivre la production littéraire et voyager à travers le monde, notamment dans certaines universités et collèges américains, afin de faire connaître aux élèves et aux étudiants nos valeurs de culture et de civilisation. J'aimerais également, donner des conférences sur la littérature africaine en général, et sénégalaise en particulier, en mettant l'accent sur la littérature féminine, dont je connais personnellement la totalité des auteurs.
Je voudrais également me consacrer au fonctionnement de l'Association Sénégalaise pour la Protection et la Sauvegarde de l'Environnement (ASEPROSE) que j'ai fondée en 1995, en vue de l'information, de l'éducation et de la sensibilisation des populations pour une amélioration de leur cadre de vie.
James GAASCH |
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 20 August 2003
https://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/int_gaasch3.html