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Aminata SOW FALL
Entretien avec James GAASCH 2000.
1 - Pourriez-vous décrire le milieu dans lequel vous avez été élevée ?
Je suis née et ai grandi à Saint-Louis du Sénégal, dans l'île, au quartier Sud, dans un espace planté sur le fleuve Sénégal; d'un côté le grand bras du fleuve, de l'autre côté le petit bras. Chaque matin, lorsque je sortais de ma chambre, mon regard plongeait dans le fleuve et, au loin, au-delà de la pointe Sud, j'apercevais la mer. L'infini s'ouvrait à moi et je vivais tous les jours ce spectacle avec une grande fascination.
Notre maison baignait dans une atmosphère merveilleuse. Mes parents étaient accueillants et du monde venait de partout; je peux dire que c'était comme un carrefour culturel ou venaient des gens de diverses origines et nationalités; des villageois qui venaient travailler comme employés de maison, des griots et conteurs, des élèves qui fréquentaient le lycée Faidherbe et qui souvent trouvaient gîte et couvert à la maison parce qu'ils étaient des amis de mes frères aînés, ainsi que des membres de notre large famille.
J'ai beaucoup appris auprès de certaines personnes qui passaient chez nous, notamment la vie au village, l'histoire et les contes traditionnels, des chansons et certaines coutumes qui se perdaient dans les villes. Tout cela me faisait rêver.
Dans cette famille, ce qu'il y avait d'extraordinaire c'est que les filles n'étaient pas élevées dans la mentalité qui prévalait généralement : se préparer au rôle de future épouse et attendre un mari puissant et généreux. Par l'exemple, sans matraquage idéologique, nos parents nous ont fait comprendre le sens de nos responsabilités en tant qu'êtres humains à part entière. Nous les filles, nous ne devions pas nous contenter d'être les dernières de la classe en attendant le mariage. Nous devions réaliser les mêmes performances que les hommes à l'école, pour l'honneur et la dignité.
Bien avant l'école française, j'étais déjà en contact avec la langue et la culture française et savais compter et dire certaines choses en français parce que mes frères, sœurs et cousins qui venaient à la maison lisaient à haute voix et échangeaient des mots en français. Cependant la langue parlée dans la maison était le wolof.
Quand j'ai commencé à fréquenter l'école française (un an après avoir commencé à fréquenter l'école coranique), j'étais donc toute heureuse de suivre le pas de mes aînés. Plus tard de vastes horizons se sont ouverts à moi grâce à la lecture. Mon père avait une armoire pleine de livres, mes frères et cousins apportaient à la fin de l'année beaucoup, beaucoup de livres; c'était la moisson bien méritée de leurs efforts ; quand leurs bras ployaient sous les prix, j'étais très fière d'eux et éblouie par les couleurs et les rubans, mais j'exultais de savoir qu'il y avait, pour ma gourmandise des livres et des livres à foison.
Après l'école primaire et le lycée Faidherbe, je terminai mon cycle secondaire au lycée Van Vollenhoven (aujourd'hui Lamine Guèye) où j'ai obtenu la première et la deuxième partie du baccalauréat.
2 - En réfléchissant à votre cheminement littéraire, de votre premier roman, Le Revenant, à votre dernier, Douceurs du bercail, avez-vous l'impression d'avoir embrassé une partie de la richesse humaine de votre pays ? Existe-t-il dans vos écrits, à votre avis, une certaine préférence pour représenter les plus démunis de la société, ceux ou celles qui souffrent d'un abus de pouvoir ?
Je serais très flattée de pouvoir embrasser une partie de la richesse humaine de mon pays. Ma préférence, dans mes écrits, est de faire sentir que la richesse humaine est la plus noble de toutes les richesses. Pour cela, toute l'humanité doit veiller à la dignité de l'être humain en lui reconnaissant son intégrité, c'est-à-dire son droit inaliénable à être respecté, quels que soient son âge, son sexe, son origine, sa race ou sa religion.
Donc cela dépasse les démunis de mon pays. La détresse humaine est un phénomène universel. Je pense que partout, ceux qui y sont sensibles ont la même réaction face à la souffrance. Heureusement d'ailleurs car si ce n'était vrai, il n'aurait pas eu cette solidarité internationale pour lutter contre toutes les détresses y compris celles qui ont pour cause un abus de pouvoir.
3 -Tout récemment vous avez été nommée parmi les cent personnages du Sénégal jouant un rôle décisif dans leur pays. Auriez-vous la bonté de parler de vos activités intellectuelles que ce newsmagazine français a signalées ?
Le newsmagazine a parlé de ma carrière littéraire ainsi que de l'œuvre de promotion culturelle que je réalise modestement. J'ai la conviction que la littérature, la culture et l'art d'une manière générale ont une importance capitale dans l'équilibre et l'épanouissement des individus et des sociétés. Ceux qui s'y investissent en tant qu'acteurs offrent des plages de rêve sans lesquelles notre vie se résumerait aux besoins du ventre et n'obéirait qu'à nos instincts. Ce serait terrible, n'est-ce pas ? Le Café Littéraire que j'organise au C.A.E.C. (Centre Africain d'Animation et d'Échanges Culturels) depuis plus d'un an entre dans le cadre de cette action.
4 - Ces temps-ci, vous avez pris part au tournage à Dakar d'un film basé sur votre roman La Grève des Battu. Est-ce que cela a été une expérience intéressante pour vous ?
Oui, une expérience très intéressante par l'importance du projet, la dimension du réalisateur Cheikh Oumar Cissoko et des acteurs parmi lesquels Dany Glover, le talent de Joslyn Barnes la scénariste, et la magie qui a régné autour de ce tournage avec des célébrités et des gens humbles venus de partout mais unis en une émouvante communion autour d'une histoire qu'ils ont dit avoir beaucoup aimée. Leur grande générosité m'a énormément touchée.
5 - La vie des talibés que vous décrivez dans votre nouvelle laquo; Une enfant dans la guerre raquo; est un phénomène souvent dénoncé. À votre avis, qu'est-ce qui est à la base du problème social que posent les enfants talibés qui mendient à tous les grands carrefours de Dakar ?
Avant de répondre à cette question, je voudrais faire certaines précisions. Le talibé est un élève de l'école coranique. Dans le passé, des familles riches et puissantes envoyaient leur progéniture chez le marabout (maître d'école coranique). Ces enfants séjournaient pendant leurs études chez le marabout. A l'heure des repas, ils allaient demander l'aumône mais ils ne mendiaient que leur nourriture et cela entrait dans le cadre de leur éducation ; on les y obligeait pour leur apprendre l'humilité. Leurs parents couvraient le marabout de bienfaits. Donc ils ne mendiaient pas par besoin.
Avec le temps, les choses ont évolué à cause de l'urbanisation, de l'exode rural et du rôle de l'argent dans les échanges sociaux. Certains marabouts ont émigré vers la ville, des parents du village ont continué à leur confier leurs enfants. La vie communautaire n'était plus ce qu'elle était. Les parents n'ayant plus les moyens d'entretenir les enfants et les marabouts ne pouvant pas les nourrir, la mendicité est devenue une source de revenus. Certains marabouts (pas tous, heureusement) se sont mis à exploiter des enfants sans défense et à les exposer à tous les risques de la rue pour leur faire payer un enseignement dont on a vraiment du mal à savoir comment et quand il est dispensé. On peut donc répondre à votre question en confirmant que la pauvreté et l'ignorance sont à la base de la mendicité infantile car si les parents pouvaient entretenir leurs enfants et s'ils étaient tant soit peu éclairés, ils se seraient abstenus de s'en séparer.
6 - Que souhaitez-vous pour le monde des lettres au Sénégal à l'orée du vingt et unième siècle ?
Que l'édition soit prospère, que les écrivains puissent écrire et que tous les lecteurs potentiels aient les moyens de lire. L'écriture et la lecture sont des actes de liberté et de libération face aux entraves de l'esprit.
James GAASCH |
Editor ([email protected])
The University of Western Australia/French
Created: 20 August 2003
https://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/int_gaasch2.html