DU DOSSIER 5. Trait de culture, fait religieux 7. Politique des états africains
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La force des interdits est ancrée fortement dans les
mentalités et ne peut être combattue du jour au lendemain
Les raisons qui poussent des millions de parents à mutiler ainsi leurs enfants sont d'abord liées à des contraintes sociales. Un mélange de superstitions, de tradition ancestrale et de religion, réduisent la marge de manoeuvres individuelle à la portion congrue. La plupart des parents qui s'adonnent à de telles pratiques n'agissent pas en pensant faire du mal à leur progéniture. Bien au contraire ils souhaitent faciliter l'intégration sociale de leur petite fille, éloigner d'elle le mauvais sort, la maladie, la folie, la stérilité etc... L'excision serait garante d'une vie chaste, éviterait l'adultère à la femme et assurerait que la virginité de la jeune fille soit préservée jusqu'au jour du mariage. (cf. Awa Thiam. La parole aux Négresses. Paris: Denoël, 1978, p.93 et Chantal Patterson. "Les mutilations sexuelles féminines: l'excision en question" Présence Africaine, no. 141, 1987). L'excision favoriserait la position de la femme au sein de son foyer et même la naissance des fils si précieux. Selon le Dr. Kouyaté, la pression familiale joue un rôle important : les belles-mères issues d'ethnies qui pratiquent l'excision n'acceptent pas une bru non excisée au sein de la famille, elle la juge impure et refuse qu'elle prépare les repas. Elle est la risée des autres membres et doit supporter les quolibets des coépouses (Véronique Ahiyi. "Médecin-gynécologue. Henriette Kouyaté Carvalho d'Alvarengo" Amina no. 324, avril 1997, p.30). Dr. Olayinke Koso-Thomas, médecin nigériane, a entrepris durant de longues années des recherches en Sierra-Leone sur des femmes excisées. Elle a résumé en dix points les raisons qui poussent les femmes à subir une telle opération. Les motifs quelles donnent dans son enquête reprennent ceux décrits ultérieurement à savoir: l'excision favorise la fertilité féminine, la santé; sur le plan esthétique, elle conserve la femme, augmente les chances de se marier, active la vigueur sexuelle de l'époux, renforce le sentiment d'appartenance à un même groupe, permet d'éviter toute déviation sexuelle - y compris la prostitution et l'adultère, elle sauvegarde la vie du nouveau-né, préserve la virginité. (Olayinke, Koso-Thomas. The Circumcision of Women. A Strategy for Eradication. London, 1987, p.46). Certains groupes ethniques comme les Bambara du Mali attribuent au clitoris un pouvoir mythique: celui d'empêcher les rapports sexuels et la procréation "vagina denta". B. Groult rapporte que "Les Bambara excisent le clitoris en prétendant que son dard peut blesser l'homme et même occasioner sa mort" (Groult, Benoîte. Ainsi soit-elle. Paris: Grasset, 1975, p.98). De tels préjugés sont le résultat de l'ignorance dans lequel baignent la plupart des groupes ethniques qui pratiquent l'excision. Les conséquences sont désastreuses comme le relève également le dr. H. Kouyaté, gynécologue et directrice de la clinique Sokhna-Fatma de Dakar (Sénégal): "le risque d'être contaminé et d'attraper ainsi le SIDA constitue aujourd'hui un nouveau danger, d'autant plus que les ustensiles que les exciseuses utilisent sont rarement désinfectés".
Au cours d'une interview, Annette Mbaye d'Erneville - une pionnière des Associations Féminines du Sénégal (FAFS) dont elle est la Présidente - relate par exemple le cas de cette petite fille Diola qui, n'avait pas été excisée et qui meurt d'un neuro-paludisme, une forme violente de paludisme cérébral. Les parents, accusés par la famille d'avoir enfreint les règles, sont convaincus que l'ire céleste s'est manifestée ainsi, car ils ont osé transgresser une coutume et violer un tabou. Ils s'empressent donc d'exciser les autres filles de la famille. (P. Herzberger-Fofana Littérature féminine francophone d'Afrique noire francophone. Paris: Harmattan, printemps 2000 - sous presse). Un travail de sensibilisation est donc d'autant plus nécessaire que la force des interdits est ancrée fortement dans les mentalités et ne peut être éliminée du jour au lendemain. La pression sociale amène l'individu à réagir conformément à la coutume, même si les conditions d'hygiène dans lesquelles a lieu cette opération, les risques de stérilité et d'hémorragie, de difficultés d'accouchement et de mortalité infantile sont élevés. On le remarque dans les propos recueillis auprès des femmes excisées lors de l'enquête effectuée par Enda dans la région de Dakar en 1989. (Halimata Sy. in Marie-Hélène Mottin-Sylla. Excision au Sénégal. Série études et recherches. Enda-Dakar, no.137, novembre 1990, pp.94-101):
M.B. Haratin du Sénégal
Une Toucouleur:
Ces propos montrent à quel point, les femmes reprennent à leur compte des croyances qui leur sont pourtant si défavorables. Elles sont si convaincues du bien-fondé d'une telle pratique qu'il semble difficile d'envisager qu'elles puissent y renoncer d'elles-mêmes. Seul un véritable travail d'information peut conduire les intéressées à modifier leurs habitudes et à envisager pour leur fille une destinée différente de la leur. D'ailleurs comme le relève le Dr. H. Kouyaté, de nos jours "Beaucoup de femmes excisées refusent que leur fille le soit." Parmi les plus farouches partisans de l'excision, on retrouve souvent les milieux traditionnels et intégristes. A Khartoum par exemple, ces milieux s'élèvent aujourd'hui encore contre les campagnes de sensibilisation en vue de l'éradication de l'excision et ils exhortent les populations musulmanes qui représentent 60% de la population soudanaise à ne pas renoncer à ses pratiques traditionnelles et à "résister à la culture occidentale". Selon Nhial Bol, un islamiste de haut rang résidant à Maigoma Thura, un faubourg situé au sud de Khartoum, aurait affirmé:
Bien que l'excision et l'infibulation soient officiellement interdites depuis 1941, la mise en pratique du décret est restée lettre morte et la coutume reste bien ancrée dans les moeurs. Selon Sara Mansavage: "About 90% of northern Sudanese women have it done. (Combatting Genital Mutilation in Sudan - in Internet gopher:/hqfaus01.unicef.org/oo/.cefdata.ka94/feat 109) Afin de gagner les dignitaires religieux à leur cause, un groupe de 10 ONG, au nombre desquelles le Conseil des Soudanais des Eglises (SC), Mutawinat Para-Legal Aid Group (MPLAG), Amal Children Society (ACS) et Munar Consultant Group ont décidé d'impliquer les faiseurs d'opinions, les politiciens et les chefs religieux dans leur campagne en les sensibilisant aux dangers que représente l'excision pour les femmes et les fillettes. (Nhial Bol. "Droits-Soudan: les Islamistes dénoncent les campagnes de lutte contre l'excision" Femmes-Afrique-Info, 29 juin 1998). L'excision et l'infibulation sont des problèmes liés à la vie des femmes, mais ils concernent aussi les hommes car ces derniers se sont arrogés le droit de contrôler la sexualité de la femme. Selon eux, faute de la juguler, elle risque de provoquer le "chaos social" et perturber ainsi l'ordre social établi. Dès lors, suggère Fatima Mernissi dans son ouvrage "Beyond the Veil", L'homme a établi des codes cherchant à endiguer un soi-disant trop-plein d'énergie de la femme. Au nombre de ces "codes", F. Mernissi cite: le port du voile, la virginité et la réclusion. Dans le même ordre d'idées, nous pourrions y ajouter l'excision qui représente elle aussi un moyen de contrôler la sexualité de la femme. (Fatima Mernissi. Frauen im Wandel der islamischen Welt. Die vergessene Macht. Berlin: Orlanda Frauenverlag, 1993.)
Marie Bonaparte, traductrice de Freud va plus loin et écrit:
Cette idée explique peut-être l'une des craintes des Peuls qui, selon une enquête effectuée à Gogounou (Bénin), pensent que le clitoris est un organe dangereux qui pourrait être si long qu'il risquerait d'obstruer l'entrée du vagin et donc affecter la pénétration masculine. De même, certains partisans de l'excision dans la sous-préfecture de Kétou allèguent que le clitoris est un organe qui recouvre les narines du bébé lors de l'accouchement, l'empêchant ainsi de respirer. Et provoquant la mort du nouveau-né. D'autres (dans la région de Kouandé-Péhunco, Bénin) sont convaincus que l'ablation du clitoris facilite l'accouchement et que le contact du clitoris peut être mortel pour le bébé. Cette croyance semble être répandue dans plusieurs pays d'Afrique chez les Mossi du Burkina-Faso, et selon M. Erlich chez les Ibos du Nigéria (Michel Erlich. La femme blessée: essai sur les mutilations sexuelles féminines. Paris: l'Harmattan, 1986, p.196). Selon Thiam, de nombreux groupes ethniques en Afrique de l'ouest, par exemple les Gourmantche, les Kotokoli, les Bambara et les Dogon, associent la pratique de l'excision à "la dialectique de la bisexualité glorifiée dans les mythes fondateurs" et croient que l'excision favorise la fertilité de la femme. (Awa Thiam. La parole aux Négresses. Paris: Denoël, 1978, p.91) Ce fait de culture apparaît également chez les Kissi (Haute-Guinée), les Dogons (Mali), les Soussous (Guinée) et les Ibo (Nigéria). Pour les Dogons du Mali, l'excision tout comme la circoncision est un tribut, une dette de sang que l'individu verse aux divinités afin d'avoir le droit d'appartenir définitivement à un sexe bien précis. (Marcel Griaule. Dieu d'eau. Entretiens avec Ogotemmêli. Paris: Fayard, 1966, p.150)
S'il est pleinement justifié de prendre en compte la force tyrannique des contraintes sociales, la puissance de ses mythes et l'efficacité de la rhétorique dont elle use, il faut aussi souligner que ces contraintes ont souvent pour origine un besoin atavique de l'homme de contrôler la sexualité de la femme, ceci au détriment de l'intégrité physique de la femme, qu'on n'hésite pas à estropier, abîmer, détruire, mutiler et priver d'un organe parfaitement sain au prix de souffrances incroyables. Le Dr. Kouyaté résume de la façon suivante les conséquences de l'excision pour les femmes:
Dans une autre interview que le Dr. Henriette Kouyaté donne au journal Amina, elle reprend les mêmes arguments et précise que l'excision a lieu à tout âge de la naissance au mariage et qu'en Casamance, au sud du Sénégal, par exemple l'excision en groupe est suivie d'une initiation dans les bois sacrés. (Amina, no.324, avril 1997, p.30)
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