DU DOSSIER 5. Trait de culture, fait religieux 7. Politique des états africains
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Les actes de violence contre les femmes s'inscrivent trop souvent dans l'ordre naturel des choses
Les actes de violence contre les femmes s'inscrivent trop souvent dans l'ordre naturel des choses et sont ainsi considérés comme faisant partie intégrante du tissu culturel, de la tradition. Les défenseurs de ces rites arguent que l'excision reflète l'identité de la femme Africaine. Cette vision désuète et partiale de l'identité féminine est en train de se transformer en cette fin de siècle.
L'excision est une atteinte à la santé de la fillette et de la femme, donc une violence faite au sexe féminin, en ce sens elle n'est pas conforme à l'esprit et à la lettre des divers traités signés par presque tous les pays du monde. A la suite de la conférence de Vienne, en Autriche, l'assemblée générale des Nations Unies a adopté la "Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des Femmes" qui englobe également les pratiques traditionnelles nuisibles à la santé de la femme. De plus, 191 pays ont ratifié la "Convention internationale relative aux Droits de l'enfant" (1990). Or, l'excision est pratiquée sur des enfants âgés de 3 mois à 10 ans qui n'ont pas la possibilité de choisir librement si elles veulent être excisées ou non. La question de l'initiation a tendance à disparaître compte tenu de l'âge de plus en plus jeune des futures excisées.
Bien sûr la ratification de conventions ne va pas du jour au lendemain changer les mentalités, mais elle constitue le premier jalon d'une réforme sociale dans les pays d'Afrique, d'autant plus que les états signataires se sont engagés à prendre des mesures contre "toute forme de violence et atteintes, de brutalités physiques ou mentales. Des dispositions sont prévues à l'égard des pratiques traditionnelles nuisibles, des violences sexuelles, et de la traite des enfants".
En outre, la Chartre Africaine des Droits de l'Homme stipule dans son article 18 que:
La plupart des pays d'Afrique subsaharienne ont adopté une politique en faveur de l'abolition des MGF à la suite des diverses conférences internationales telles que la conférence des chefs religieux (Le Caire, 1979), le Séminaire sur les pratiques affectant la santé de la mère et de l'enfant (Khartoum, 1979), le Forum de Nairobi sur Islam et MGF (juin 1985), la conférence mondiale sur les droits de l'homme (Vienne, 14-25 Juin 1993), la conférence internationale sur population et développement (Le Caire, 1994). Dans les 28 pays concernés d'Afrique, le pouvoir, les autorités religieuses, la société civile et les groupements féminins déploient des campagnes de sensibilisation.
Le 5 avril 1984, le Président Abdou Diouf proclamait lors de la conférence de Dakar qu'il fallait "Accélérer le dépérissement de cette survivance qu'est l'excision par l'éducation et non par l'anathème" ("Déclaration du Président du Sénégal, Monsieur Abdou Diouf sur les mutilations sexuelles". Bulletin du Comité Inter-Africain sur les Pratiques Traditionnelles ayant effet sur la Santé des Femmes et des Enfants, no. 2, juillet 1986, p.15) Au mois de juin 1998, le gouvernement du Sénégal a déposé un projet de loi interdisant les mutilations génitales féminines et les dignitaires religieux semblaient s'être ralliés à cette mobilisation (Femmes-Afrique-Info, 28.2.99) Cette loi stipule que:
La peine maximum sera appliquée lorsque ses mutilations sexuelles auront été réalisées ou favorisées par une personne du corps médical ou paramédical. Lorsqu'elles auront entraîné la mort, la peine des travaux forcés à perpétuité sera toujours prononcée.
Sera punie des mêmes peines toute personne qui aura, par des dons,
promesses, influences, menaces, intimidations, abus d'autorité ou de
pouvoir, provoqué ces mutilations sexuelles ou donné les
instructions pour les commettre. ("Loi 299 bis sur les Mutilations Génitales Féminines") Pourtant dans leur édition de janvier 1999, "Femmes-Afrique-Info" et le quotidien national Le Soleil (15 janvier), rapportent que certains chefs religieux auraient exhorté les députés musulmans à voter contre la loi, que des députés auraient refusé de voter et que l'un d'eux, le député et Secrétaire général du Front pour le Socialisme et la démocratisation-tendance islamique, au moment du vote de la loi, le 14 janvier 1999, aurait opposé son veto au nom de sa religion. Un autre député de tendance socialiste lui aurait fait écho en déclarant:
Comme pour prouver que cette loi ne s'accorde pas avec les mentalités locales, au lendemain de la décision du conseil des ministres en décembre 1998, 120 fillettes âgées de 8 mois à 10 ans ont été excisées manu militari dans la région de Kédougou (Sénégal oriental) et, cette fois-ci par un homme. Une gifle magistrale pour toutes les femmes, les mouvements féminins et les activistes qui avaient oeuvré pour faire passer une telle loi. Quant au maire de Kédougou s'appuyant sur les réactions de ses administrés, il a conclu:
La réaction des dignitaires de Kédougou montre que des questions cruciales n'ont pas été résolues. Dans quelle mesure la loi s'accorde- t-elle avec les mentalités des administrés? Peut- on exiger d'un trait de plume que des populations renoncent à des pratiques ancestrales qui les confortent dans leur mode de pensée? N'aurait-il pas fallu continuer le travail de sensibilisation jusqu'au moment où le gouvernement aurait été assuré de l'adhésion massive des populations? Le Sénégal a enregistré au mois de juillet 1999 le premier cas de justice. En effet, à la suite d'une dénonciation, Mme X vient d'être écrouée pour avoir excisée sa petite-fille. Le cas est entre les mains du parquet. Afin de vulgariser la loi, Enda-Tiers-Monde en collaboration avec la Free Clinic asbl (planning familial ) et la Section de Coopération Belge à Dakar vient de publier une bande dessinée "Le choix de Bintou". Cette BD écrite sur un ton simple, accessible à tous, explique les méfaits de l'excision sur la santé des femmes, les risques médicaux, les conflits qu'elle engendre au sein d'un couple. La brochure se termine par un jeu-questionnaire qui rappelle qu'il existe une loi qui condamne une telle pratique. Les questions qui sont posées incitent les jeunes à réfléchir sur la sexualité tout en l'insérant dans le cadre culturel des Sénégalais. La dernière image de la bande dessinée "l'islam pour ou contre" rappelle que l'islam n'exige pas la pratique de l'excision. Le choix de Bintou réconforte donc le sénégalais moyen, pratiquant dans son mode de pensée et aura certainement un impact positif sur les populations. Vu que nul n'est censé ignorer la loi, sur le verso de la BD le texte de loi est mentionné en entier accompagnée d'une image illustrant son application: "La cour vous condamne à 3 ans d'emprisonnement pour avoir fait exciser votre fille. Le message est donc clair. (La brochure peut être commandée à Enda Tiers Monde. 4-5 rue Kléber. BP 3370. Dakar-Sénégal. Fax: (221) 822 26 95. Email: [email protected];) En Côte d'Ivoire et au Burkina Faso des lois ont été votées en vue d'abolir l'excision. Il faut ici aussi reconnaître le travail qu'ont entrepris les mouvements féminins, les ONG en Afrique. La polémique a fait place à un véritable travail de sensibilisation, de persuasion, d'explication. Il s'agit d'ouvrir les mentalités aux dangers que présente une telle opération: relâchement des tissus lors de l'accouchement, frigidité, stérilité et rétention urinaire, hémorragies et rapports douloureux qui entravent une vie conjugale harmonieuse. En mettant l'accent sur les problèmes de santé qui affectent les femmes, l'abolition de l'excision semble rallier l'accord de la majorité des partis. Ce n'est que lorsqu'un accord général, incluant toutes les personnes concernées, a été atteint que les mesures de contraintes peuvent être envisagées, comme par exemple en Côte d'Ivoire où la loi sur les mutilations génitales exercées sur les femmes nuisibles à la santé prévoit même l'emprisonnement jusqu'à cinq ans et une amende de 200 000 FCFA à 2 Millions de FCFA (2 000FF à 20 000FF). Afin de convaincre les populations d'abandonner la pratique de l'excision, la responsable de la Commission pour l'éradication des mutilations sexuelles, une ancienne praticienne, qui a exercé son métier d'exciseuse pendant 40 ans, sillonne le pays encourageant les praticiennes à suivre son exemple. Mme Guei Bah Agnès Koné, âgée de 75 ans est convaincue aujourd'hui des méfaits qu'une telle pratique peut causer (Femmes-Afrique-Info du 21 janvier 1999). Mais il ne faut pas oublier que les MGF sont pour beaucoup de femmes génératrices de revenus et, qu'il ne sera possible de l'abolir complètement que si les exciseuses parviennent à être recyclées dans un autre domaine. A défaut d'offrir une alternative, il est probable que nombreuses seront celles qui continueront de pratiquer dans l'illégalité, car c'est leur seul gagne-pain.
Bien que le Burkina-Faso fasse figure de modèle dans ce domaine (Mariama Lamizana. Amina no. 328, août 1997, p.32) les mutilations génitales féminines continuent à être pratiquées à Ouagadougou et dans les banlieues proches de la capitale. Les tradipraticiennes poursuivent leur travail et le taux de fillettes excisées et femmes mutilées à la veille de leur mariage n'aurait pas changé. (Angèle Bassole-Ouédraogo. "Complicité" L'indépendant, no. 258, 11 août 1998). En effet, le Burkina -Faso est l 'un des premiers pays francophones a avoir entamé une lutte contre l'excision. Les raisons dérivent de deux facteurs : le taux élevé de femmes excisées (80%) et l'action de l'ancien président de la république, feu Thomas Sankara, connu pour ses sympathies féminines. Il exhortait les femmes à lutter pour acquérir leur propre émancipation. Dès 1975 le Président Sankara déclarait la guerre à l'excision, une pratique qui pour lui reposait sur le socle de la superstition et de l'ignorance, et le désir de contrôler la femme
La radiodiffusion nationale burkinabée diffusait déjà à cet époque une série d'émissions afin d'éveiller les consciences sur ce problème crucial (Jean-Philippe Rapp et Jean Ziegler. Burkina-Faso, eine Hoffnung. Zürich, 1987, p.84). La présence de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) a facilité la formation de multiplicateurs qui étaient en mesure de se rendre en brousse pour sensibiliser les populations. Le fonds monétaire, la banque mondiale, les états scandinaves et les Pays-Bas financent le programme de stratégies d'éradication des mutilations sexuelles. Premiers succès en Afrique
Au Soudan, on enregistre les premiers succès de la campagne contre les MGF. En effet, le 10 novembre 1999 deux jeunes filles Samia Hassan et Ahbal Omer el Hussein se sont mariées publiquement sans avoir été excisées (Nhial Nol "L'excision n'est plus une condition indispensable au mariage Musulman" Femme-Afrique-Info, 10.11.99. https://[email protected]/). Ceci est une première à Khartoum. En Guinée, pays où les MGF ont lieu à 80%, les autorités se sont engagés à mener une lutte contre l'excision ("Guinea Hand over circumsion" Femme-Afrique-Info, 16 novembre 1999. https://[email protected]/). Au Congo, l'excision n'est pratiquée que par un groupe ethnique. Cependant il existe une forme de mutilations génitales assez répandue: l'usage de la phytothérapie dans le traitement d'affections génitales à l'aide de recette végétales traditionnelles. Selon une étude de l'université de Kinshasa (Unikin) 60% des Congolaises s'adonnent à de telles pratiquent ainsi qu'à l'allongement des petites lèvres. Au Sénégal, le regroupement des femmes de Ndaganane a déclaré solennellement qu'à compter du 12 juillet 1999 il renonçait à la pratique de l'excision. Cette déclaration publique a été enregistrée au cours de la dernière grande cérémonie de "Kassouse", cérémonie qui clôture la fin du rite de l'excision (Oumar Diatta "Senegal-Mutilations sexuelles : Thionck-Essyl tourne le dos à l'excision" Sud-Quotidien, 13 juillet 1999). Au Kenya, le gouvernement a lancé un plan d'action national pour l'éradication de l'excision qui est fondé essentiellement sur l'éducation civique. Mais il n'entend pas poursuivre les personnes qui soumettent leurs filles à une telle pratique afin d'éviter que l'excision soit pratiquée dans la clandestinité. Selon une étude sur la santé démographique au Kenya pour 1998, 32% des Kenyanes ont subi cette opération. Le ministre de la santé du Kenya, M. Sam Ongeri a déclaré que la "proportion des femmes excisées augmente selon l'âge", en précisant que l'excision était plus pratiquée en zone rurale chez les personnes moins instruites qu'en ville. Parmi les régions les plus touchées, celles à l'ouest du Kenya comme le Kisiiles présente un taux de 97%, celles du Massai avec 89%, de Kamba avec 33%. La région côtière enregistre le taux le plus bas de 12% (PANA. "Le Kenya déclare la guerre à l'excision". Femme-Afrique-info, 24.11.99. https://[email protected]/). En Ouganda l'excision est surtout répandue chez les Sabiny, à l'est du pays. La campagne en faveur de l'abolition est conduite par le ministre d'Etat chargée de l'égalité des sexes et du développement communautaire, Jane Francis Kuka. Cette dernière mobilise depuis 1996 les femmes du Kaopchorwa et s'oppose ouvertement à une telle pratique. Son exemple va faire à coup sûr des émules. En effet , au début de sa campagne, les esprits malveillants lui prédisaient qu'elle resterait veieille fille. " Je me suis opposée à l'excision et tout le monde pensait que je n'allais jamais me marier. Mais je suis mariée et j'ai des enfants" (Peter Owuor. "Santé : L'Ouganda redouble d'effort pour lutter contre l'excision" Femme-Afrique-Service, 14.1.2000). De tels exemples ont un impact positif sur des populations attachées à leur us et coutumes car, comme l'a déclaré le Vice-Ministre zambien lors de l'atelier sur la pratique de l'excision à Lusaka: "Tout en étant nuisible, la pratique de l'excision constitue, dans certaines sociétés , une façon de vivre et une forme d'identité qui ne peuvent être remises en cause du jour au lendemain" (Lewis Mwanangombe. "Un atelier sur la pratique de l'excision". Femmes-Afrique-Info, 14.1.2000). Enfin deux épouses de chefs d'état, Chantal Compaoré (Burkina-Faso) et Marguerite Kérékou (Bénin) ont décidé de lutter ensemble afin d'éradiquer d'ici à l'an 2001 dans le cadre de l'UEMOA (union économique et monétaire ouest africaine) "les tares culturelles qui assujettissent encore les femmes et les enfants" comme l'a déclaré Chantal Compaoré lors de leur concertations à Cotounou. ("Pana-Droits-Afrique: Deux épouses de chefs d Etat veulent éradiquer l'excision d'ici l'an 2001". Femme-Afrique-Info, 16 novembre 1999). La lutte contre les MGF est devenu un combat quotidien dans tous les états d'Afrique concernés.
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